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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/119

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donc d’empêcher l’homme de douter si sa prière serait exaucée, l’Écriture lui a donné cet avis « Pleurons devant le Seigneur qui nous a faits. » Il exauce sûrement ceux qu’il a créés, il ne peut négliger son œuvre. Il y a néanmoins ici un sens plus profond, et je crois plus salutaire. Le Saint-Esprit a vu des hommes qui disent ou qui diront que Dieu les a faits hommes et qu’eux-mêmes se font justes. Il les a vus d’avance, et pour leur donner un avertissement, pour les détourner de cet orgueil, il leur dit : « C’est lui-même qui nous a faits, ce n’est pas nous. »
Pourquoi avoir ajouté : « Ce n’est pas nous », quand il suffisait d’avoir dit « C’est lui-même qui nous a faits ? » N’est-ce point parce qu’il a voulu faire allusion au sens que donnent certains hommes qui disent : Nous nous sommes faits ; c’est-à-dire que pour être justes nous nous sommes faits justes par notre libre volonté ? Nous avons reçu le libre arbitre en naissant et c’est par le libre arbitre que nous travaillons à devenir justes. Pourquoi demander encore à Dieu de nous rendre justes, puisque nous avons le pouvoir de nous rendre justes nous-mêmes ? Écoutez, écoutez, justes ou injustes. « C’est lui qui nous a faits, ce n’est pas nous. » Le premier homme a été créé avec une nature exempte de toute faute, exempte de tout vice : il a été créé droit, lui-même ne s’est pas fait droit. Que s’est-il fait ? On le sait. Il s’est échappé, comme l’argile, de la main du potier et il s’est brisé. Son Créateur voulait le diriger, l’imprudent voulut se soustraire à cette direction, et Dieu le laissa faire. Qu’il m’abandonne, sembla-t-il dire, qu’il se trouve, et que sa misère lui démontre qu’il ne peut rien sans moi.
3. Ainsi Dieu voulut montrer à l’homme ce que peut sans lui le libre arbitre. Oh ! Que ce libre arbitre est funeste sans Dieu ! Nous avons expérimenté ce qu’il peut alors et c’est ce qui a fait notre malheur. Sachons donc enfin, après cette triste expérience, ce que nous pouvons sans Dieu ; puis « venez, adorons-le, prosternons-nous devant lui. Venez, adorons-le, prosternons-nous n devant lui, et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits ; » obtenons ainsi qu’après nous être perdus nous-mêmes, Celui qui nous a faits nous répare. Ainsi donc l’homme a été créé bon, et par te libre arbitre il s’est rendu mauvais : comment alors cet homme mauvais pourrait-il, par le libre arbitre et en abandonnant Dieu, se rendre bon. Quand il était bon, il n’a pu se conserver bon ; et mauvais il se rendra bon ? Quand il était bon, il ne s’est point conservé bon, et quand il est mauvais, il dit : Je me rends bon ? Quand tu étais bon tu t’es perdu ; méchant aujourd’hui, que peux-tu sans Celui dont la bonté est inaltérable ?
4. « C’est » donc « lui qui nous a faits, ce n’est pas nous. Pour nous, nous sommes son peuple et les brebis de ses pâturages [1]. » Ainsi Celui qui nous a faits hommes, a fait de nous son peuple ; car nous ne l’étions point par notre création. Voyez, mes frères, et remarquez dans les paroles mêmes du psaume pourquoi il est dit : « C’est lui qui nous a faits, ce n’est pas nous : C’est lui qui nous a faits. » En effet lorsque naissent les païens, les impies, tous les ennemis de son Église, c’est Dieu les fait naître. Nul autre que lui ne les crée. Les enfants des païens sont formés et créés par lui ; mais ils ne sont pas son peuple ni les brebis de ses pâturages. La nature est commune à tous, non la grâce. Que l’on ne confonde point l’une avec L’autre, et si l’on donne à la nature le nom de grâce, que ce soit uniquement parce qu’elle est accordée gratuitement. Quel homme a mérité l’être qu’il n’avait pas ? Pour le mériter il devait l’avoir d’abord ; mais il ne l’avait pas encore ; il ne pouvait donc le mériter. Il l’a obtenu néanmoins et il n’a pas été formé comme les troupeaux, comme les arbres, comme les rochers, mais à l’image de son Créateur. Mais qui est l’auteur de ce bienfait ? Celui qui était et qui était éternellement. À qui ce même bienfait a-t-il été conféré ? À l’homme qui n’était pas. Ainsi Celui qui était l’a donné et celui qui n’était pas l’a reçu. Or qui pouvait le donner ainsi, sinon Celui qui appelle ce qui est comme ce qui n’est pas[2] ; et de qui l’Apôtre dit : « Il nous a élus avant la fondation du monde[3] ? » Il nous a élus avant la fondation du monde ; nous avons été faits dans ce monde et le monde n’était pas lorsqu’il nous a élus. Ineffables merveilles ! Qui peut, mes frères, les expliquer ? Qui peut même songer à ce qu’il aurait à expliquer ? On choisit ceux qui ne sont pas et il n’y a dans ce choix ni erreur ni inutilité. Dieu le fait cependant, et il a pour élus ceux qu’il doit créer pour les élire ; il les garde en lui-même, non dans sa nature, mais dans sa prescience.
5. Gardez-vous donc de vous élever. Nous sommes hommes ; c’est Dieu « lui-même qui nous a faits » nous sommes fidèles aussi, le

  1. Ps. 93, 6-7
  2. Rom. 9, 17
  3. Eph. 1, 4