Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la Loi par son serviteur, il a donné la grâce par lui-même. Considère un grand et profond mystère. Le prophète Élisée annonçait l’avenir par ses actes aussi bien, que par ses paroles. Le fils de son hôtesse était mort. Cet enfant mort ne rappelait-il pas Adam ? On annonça cette mort au saint prophète, qui représentait, comme prophète, la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il envoya son bâton et dit au serviteur qui le portait : « Va, va, mets-le sur le corps inanimé de l’enfant. » Le docile serviteur y alla et le prophète le suivait en esprit. Il plaça donc le bâton sur le mort ; le mort ne ressuscita point. « Si la loi avait été donnée comme capable de vivifier, la justice viendrait véritablement de la loi. » La Loi donc ne put rendre la vie à l’enfant. Le grand prophète vint alors vers ce petit ; c’était un sauveur pour le sauver, c’était la vie qui s’approchait de la mort ; il vint en personne. Que fit-il ? Il contracta en quelque sorte ses propres membres, comme pour s’anéantir et prendre la forme d’esclave [1]. Il contracta donc ses propres membres, se rapetissa à la mesure de l’enfant, comme pour rendre le corps de notre humilité conforme à son corps glorieux[2]. C’est ainsi, en présence de cette figure prophétique de Jésus-Christ, que l’enfant ressuscita[3], image de la justification du pécheur.
12. Qu’on prêche cette grâce, c’est la grâce obtenue aux Chrétiens par le Médiateur fait homme, par Celui qui a souffert et qui est ressuscité, qui est monté au ciel, qui a conduit la captivité captive et qui a répandu ses dons sur les mortels. Oui, qu’on prêche cette grâce, – et que des cœurs ingrats n’argumentent pas contre elle. Le bâton du prophète n’a pas suffi pour rendre la vie au mort : et la nature morte suffirait pour se la rendre à elle-même ? Quoique jamais nous n’ayons vu lui donner ce nom, toutefois, comme nous l’avons reçue gratuitement, appelons grâce la nature où nous avons été formés. Mais montrons aussi combien l’emporte sur elle la grâce qui nous rend Chrétiens. Attention ! Nous n’avions aucun mérite avant de recevoir l’existence ; et la nature qui nous a été donnée ainsi, sans aucun mérite de notre part, peut s’appeler grâce. Si c’est une grande grâce d’avoir reçu quand nous n’avions aucun mérite ; quelle grâce plus grande d’avoir reçu quand nous avions tant de démérites ? Celui qui n’est pas encore ne mérite pas ; le pécheur démérite. Celui qui n’a pas été créé n’est pas encore ; il n’est pas encore, mais il n’a pas péché. Il n’est pas encore, et il est créé ; il pèche et il est sauvé. Avant d’exister, il n’espère rien ; il existe, il tombe, il attend sa réprobation et il est sauvé. Voilà la grâce obtenue par Jésus-Christ Notre-Seigneur. C’est lui qui nous a faits, il nous a faits avant que nous eussions l’existence à aucun degré. Nous sommes tombés après avoir reçu l’existence ; c’est lui encore qui nous a faits justes, ce n’est pas nous ; et s’il est en lui une créature nouvelle, c’est que l’ancienne étant tombée a été renouvelée par lui.
13. Adam avait produit une masse de perdition qui ne méritait que le supplice. De cette même masse de perdition ont été tirés des vases d’honneur. Car « le potier a le pouvoir de tirer de la même masse. » De quelle masse ? De la masse perdue, de la masse qui ne méritait plus qu’un juste supplice. Réjouis-toi d’en être tiré ; car tu as échappé à la mort, et tu as trouvé la vie à laquelle tu n’avais aucun droit. Donc « le potier a le pouvoir de faire de la même masse d’argile un vase d’honneur et un vase d’ignominie. » Pourquoi, dis-tu, a-t-il fait de moi un vase d’honneur, tandis qu’il a fait d’un autre un vase d’ignominie ? Que répondre ? Écouteras-tu Augustin, quand tu n’écoutes pas les paroles de l’Apôtre : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu [4] ? » Deux enfants viennent de naître. Que leur est-il dû ? Tous deux appartiennent à la masse de perdition. Pourquoi donc l’un d’eux est-il présenté par sa mère au sacrement de la grâce, tandis que l’autre est étouffé par la sienne endormie ? Veux-tu me dire ce que mérite celui que l’on porte au Sacrement, et ce que mérite celui qu’étouffe sa mère durant le sommeil ? Ni l’un ni l’autre n’a rien mérité ; mais « le potier a le pouvoir de faire de la même masse d’argile un vase d’honneur et un vase d’ignominie. » Veux-tu contester avec moi ? Admire plutôt avec moi et crie comme moi : « O profondeur des trésors ! » Oui, tremblons tous deux, et tous deux écrions-nous : « O profondeur des richesses ! » Accordons-nous à trembler pour ne périr pas dans l’égarement. « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables ! » Comprends l’incompréhensible, fais l’impossible, saisis l’insaisissable, vois l’invisible !
14. « Ses jugements sont incompréhensibles. »

  1. Philip 11, 7
  2. Id. 3, 21
  3. 2 R. 4,18-37
  4. Rom. 9, 21, 20