Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

SERMON XXVIII. DIEU EST TOUT A TOUS[1].

ANALYSE. – Comme le titre l’indique, ce charmant petit discours se propose de montrer : 1° que notre cœur trouve en Dieu toutes les jouissances qu’il peut désirer ; 2° que fort différent de beaucoup de biens matériels qui ne peuvent se donner à plusieurs sans se partager, Dieu se donne tout entier à chacun de nous et chacun peut le posséder également tout entier. – On ne sait ce qui frappe le plus ici, la sublimité des pensées ou la clarté de l’exposition.


1. Parmi les divins oracles, examinons de préférence, avec l’aide du Seigneur, celui-ci que nous avons entendu le dernier : « Que le cœur qui cherche Dieu soit dans l’allégresse. » Ce qui rend opportune cette méditation, c’est que nous sommes encore à jeun ; et notre cœur sera dans la joie pourvu que notre âme soit affamée. Lorsqu’on apporte sur nos tables des mets agréables, ceux qui ont faim se réjouissent l’œil qui aime à voir quelque chose d’éclatant se réjouit aussi lorsqu’on lui présente des tableaux où la variété des couleurs et la perfection des, traits sont propres à le charmer ; il y a joie également pour l’oreille qui recherche les chants harmonieux, joie pour l’odorat qui court après les suaves parfums. « Que le cœur qui cherche Dieu soit » donc aussi « dans la joie. »
2. Il est hors de doute que chacun de nos sens est agréablement frappé par son objet propre. Le son n’a rien qui charme l’œil, ni la couleur rien qui charme l’oreille. Mais pour notre cœur Dieu est à la fois lumière, harmonie, parfums et nourriture ; et s’il est tout cela, c’est qu’il n’est rien de cela ; et s’il n’est rien de cela, c’est que tout cela a été créé par lui. Il est la lumière de notre cœur ; aussi nous lui disons : « A votre lumière nous verrons la lumière[2]. » Il en est l’harmonie : « Vous ferez entendre à nos oreilles la joie et l’allégresse[3]. » Pour notre cœur il est aussi un parfum : « Nous sommes la bonne odeur du Christ[4]. » Si en jeûnant vous avez besoin de nourriture : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice[5]. » Or il est dit de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même qu’« il est devenu notre justice et notre sagesse[6]. » Voici la table préparée ; Jésus-Christ est la justice : justice qui ne manque jamais, qu’un serviteur n’a pas besoin d’assaisonner pour nous et que le commerce ne transporte point d’au-delà des mers, comme les fruits étrangers.C'est la nourriture que goûte celui qui n’a point le palais malade ; c’est la nourriture de l’homme intérieur ; et parlant de lui-même le Christ a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel [7]. » Cet aliment nourrit sans s’épuiser ; il se prend sans se consumer ; il rassasie la faim sans diminuer. Lorsque vous sortirez d’ici, vous ne trouverez rien de pareil sur vos tables. Et puisque vous êtes à ce banquet, mangez convenablement, mais après l’avoir quitté, ayez soin de bien digérer. C’est bien manger et mal digérer que de bien écouter la parole Dieu sans la pratiquer : ce n’est pas en tirer les sucs nourriciers, mais la rejeter avec dégoût comme une nourriture aigre et indigeste.
3. Ne vous étonnez point que nos cœurs mangent et se nourrissent sans rien ôter à leurs aliments. Dieu n’a-t-il pas pour nos yeux une nourriture semblable ? La lumière, en effet, est l’aliment des yeux, les yeux en vivent, et s’ils sont trop longtemps dans les ténèbres, ils périssent en quelque sorte pour avoir jeûné. On a vu des hommes perdre la vue en demeurant dans l’obscurité ; rien ne s’était glissé dans leurs yeux, personne ne les avait frappés, aucune humeur étrangère n’y avait pénétré, ni poussière, ni fumée ; ces hommes sortirent de leur retraite, et ils ne voyaient plus comme ils voyaient auparavant ; leurs yeux étaient morts de faim ; ils s’étaient éteints pour n’avoir pas pris leur nourriture, c’est-à-dire pour n’avoir pas vu la lumière. Reconnaissez maintenant ce que je voulais vous montrer, savoir quelle est la nature de cette lumière dont vivent les yeux. Tous la voient, tous les yeux s’en nourrissent ; et néanmoins en servant d’aliment à la vue, la lumière ne perd rien d’elle-même. Deux hommes la voient, elle demeure entière ; plusieurs la voient, elle reste la même ; le riche la voit, le pauvre la voit, elle est égale pour tous. Nul ne la restreint ; elle enrichit

  1. Ps. 104, 3
  2. Ps. 35, 10
  3. Ps. 50, 10
  4. 2 Cor. 2, 15
  5. Mt. 5, 6
  6. 1 Cor. 1, 30
  7. Jn. 6, 51