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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/152

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pour être riche : se croire grand parce qu’on est riche, c’est faire preuve d’orgueil et d’indigence ; c’est être bouffi dans sa chair et mendiant dans son cœur, enflé et non rempli. Voici deux outres l’une est pleine et l’autre gonflée ; toutes deux sont également grandes, mais toutes deux ne sont pas pleines également. Si tu te contentes de les regarder, tu seras trompé ; pèse-les et tu sauras ce qu’il en est : celle qui est pleine se remue difficilement, celle qui est gonflée s’enlève en un clin d’œil.
3. « Ordonne » donc, dit l’Apôtre, « aux riches de ce monde. » Il ne dirait pas « de ce monde », s’il n’y avait aussi des riches qui ne sont pas de ce monde. Quels sont ces derniers ? Ceux qui ont pour prince et pour chef Celui dont il est écrit : « Pour vous il s’est fait pauvre, quand il était riche ». Que m’importe s’il est resté seul ? Vois ce qui suit : « Afin de vous enrichir par sa pauvreté [1]. » Ce n’est pas sans doute l’opulence, c’est la justice que nous a valu cette pauvreté du Christ. Mais lui, comment est-il devenu pauvre ? En se faisant mortel. L’immortalité est donc l’opulence véritable ; car il y a là véritablement abondance, puisqu’il n’y a point d’indigence. Comme donc il nous était impossible de devenir immortels si pour nous le Christ ne s’était fait mortel ; « il s’est fait pauvre quand il était riche. » L’Apôtre ne dit pas : Il est devenu pauvre après avoir été riche, mais : « Il s’est fait pauvre quand il était riche ; », il a adopté la pauvreté sans perdre ses richesses : riche au-dedans, pauvre au-dehors, la divinité se cache dans ses richesses, soir humanité se révèle dans la pauvreté. Contemple ses richesses : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Au commencement il était en Dieu ; tout a été fait par lui. » Quoi de plus riche que Celui par qui tout a été fait ? Un riche peut avoir de l’or, il n’en saurait créer. Or après avoir contemplé ses richesses, vois sa pauvreté : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous[2]. » C’est cette pauvreté qui nous enrichit-; car sous l’action du sang qui a jailli de la chair du Verbe fait chair pour habiter parmi nous, la tumeur formée par nos crimes s’est ouverte, et grâces à ce sang divin nous avons rejeté les haillons d’iniquité pour revêtir la robe d’immortalité.
4. Tous les vrais fidèles sont donc riches. Que nul d’entre eux ne se laisse abattre : s’il est pauvre dans sa cellule, il est riche dans sa conscience ; et celui qui est riche dans sa conscience dort plus tranquille sur la terre que le riche sur la pourpre. Il n’y est pas éveillé par d’amères inquiétudes, sol cœur n’y est pas rongé par le crime. Conserve dans ton cœur ces richesses que t’a procurées la pauvreté du Seigneur ton Dieu. Ou plutôt confies-en la garde à sa vigilance ; que lui-même conserve ce qu’il a donné, pour empêcher le cœur de le perdre. Tous les vrais fidèles sont donc riches, mais ils ne sont pas des riches de ce monde. Ils peuvent ne pas apercevoir eux-mêmes leurs richesses ; ils les apercevront plus tard. La racine est vivante ; mais l’arbre vert ressemble à l’arbre sec pendant l’hiver. Alors en effet l’arbre mort et l’arbre vivant sont dépouillés l’un et l’autre de la beauté de leur feuillage, également dépouillés de la richesse de leurs fruits. L’été vient, la différente parait. L’arbre vivant produit des feuilles, se couvre de fruits ; l’arbre mort reste stérile en été comme en hiver. Aussi on prépare un grenier pour la récolte du premier : au second on applique la hache pour le couper et le jeter au feu. L’été pour nous est l’avènement du Christ : aujourd’hui c’est l’hiver parce qu’il se cache ; ce sera d’été quand il se manifestera. L’Apôtre enfin adresse aux bons arbres, c’est-à-dire aux fidèles ces paroles consolantes : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. » Oui, morts ; mais morts en apparence, et vivants par la racine. Vois maintenant comment viendra ensuite la saison d’été : « Mais quand le Christ votre vie apparaîtra, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire [3]. » Voilà des riches, mais non des riches de ce monde.
5. Les riches du siècle néanmoins ne sont pas méprisés ; eux aussi ont été rachetés par Celui qui étant riche s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir par sa pauvreté. S’il les avait dédaignés, s’il avait refusé de les recevoir au nombre des saints, son Apôtre n’aurait pas fait à Timothée, nous l’avons déjà dit, l’obligation suivante : « Ordonne aux riches de ce monde de ne s’enfler pas d’orgueil. » Il y a des riches de ce monde parmi les riches de la foi ; ordonne-leur, car eux aussi sont les membres du divin pauvre ; ordonne-leur, car tu le redoutes pour eux dans les richesses, de ne s’enfler pas d’orgueil, de ne mettre pas leur espérance dans ces richesses incertaines.D’où vient que le riche s’enorgueillit ? C’est

  1. 2 Cor. 8, 9
  2. Jn. 1, 1-3,14
  3. Col. 3, 3-4