Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/155

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souffre pas les menaces : » le pauvre, c’est-à-dire l’homme sans justice, qui ne possède pas au-dedans l’abondance spirituelle, les ornements spirituels, l’opulence spirituelle ni tout ce qui se voit mieux de l’esprit que de l’œil : celui donc qui ne possède pas ces choses à l’intérieur, « ne souffre pas les menaces. » Qu’un puissant lui dise : Profère cette parole contre mon ennemi, fais un faux témoignage afin que je puisse l’accabler et le dompter comme je veux ; peut-être essaiera-t-il de répondre : Je ne le ferai pas, je ne me chargerai point de ce crime. Il refuse ainsi, mais seulement jusqu’à ce que le riche ait recours aux menaces. Car, comme il est pauvre, « il ne souffre pas les menaces. » Qu’est-ce à dire : il est pauvre ? Il ne possède point ces richesses intérieures que possédaient les martyrs, lorsque pour soutenir la vérité et la foi du Christ, ils méprisèrent toutes les menaces du siècle. Ils ne perdirent rien de ces richesses intérieures, et que ne trouvèrent-ils pas au ciel ? « Le pauvre » donc « ne souffre pas les menaces. » A ce riche qui le pousse à faire un faux témoignage au détriment d’un tiers, il ne peut répondre : Je ne le ferai pas. Il n’a pas au dedans de quoi répliquer ainsi ; ses richesses intérieures ne lui donnent ni fermeté ni consistance ; et dans cette indigence il n’est pas homme à dire : Que me feras-tu avec tes menaces ? Tu m’enlèveras tout au plus ce que j’ai ; mais c’est me prendre ce que j’allais abandonner, c’est me prendre ce que même sans ta violence j’aurais perdu peut-être pendant ma vie. Je ne perds rien de ma fortune intérieure. En me menaçant de me l’enlever, tu en es réduit à le vouloir. Tu peux me ravir les biens extérieurs et les posséder ; si par tes menaces tu m’ôtais la foi, je la perdrais, mais tu ne l’aurais pas. Je ne fais donc rien de ce que tu me conseilles et je ne m’inquiète pas de tes menaces. Tu peux dans ta colère aller jusqu’à me bannir de mon pays. Tu m’auras nui, je l’avouerai, si tu me jettes où il me sera impossible de trouver mon Dieu. Peut-être encore pourras-tu me tuer. Pendant que croulera cette maison de chair, j’en sortirai plein de vie, j’irai plein de confiance vers Celui à qui je reste fidèle et je ne te craindrai plus. À quoi se réduisent tes menaces pour obtenir de moi ce faux témoignage ? Tu me menaces de la mort, mais c’est la mort corporelle, et je crains davantage Celui qui a dit : « La bouche menteuse est meurtrière de l’âme [1]. » Ainsi et mieux encore répond aux menaces celui qui possède abondamment les richesses ultérieures.
11. Donc soyons riches et craignons d’être pauvres. Demandons à Celui qui est vraiment riche de combler notre cœur de ses richesses. Et si chacun de vous, rentrant en soi, n’y trouve pas cette sorte d’opulence, qu’il frappe à la porte du riche ; qu’il soit près d’elle un pieux mendiant afin de devenir par lui un opulent heureux. Oui, mes frères, nous devons confesser notre pauvreté, notre indigence, devant le Seigneur notre Dieu.. Ainsi confessait la sienne ce publicain qui n’osait même lever les yeux an ciel. Pauvre pécheur il ne se sentait pas le droit de lever les yeux ; il considérait sa misère, mais il connaissait l’opulence du Seigneur, il se savait près de la source, tout altéré. Il montrait sa bouche desséchée et frappait pieusement sa poitrine brûlante : « Seigneur, disait-il alors et en abaissant les yeux sur la terre, ayez pitié de moi pécheur. » Je vous l’assure, en pensant et en priant de la sorte, il était déjà riche sous quelque rapport. S’il n’y avait eu en lui que pauvreté, comment verrions-nous dans sa confession des sentiments aussi beaux ? Néanmoins il sortit du temple plus riche encore et plus fortune, car il était justifié. Quant au Pharisien, il monta pour prier et ne pria point. « Ils montèrent au temple, dit le Seigneur, pour y prier. » L’un prie, l’autre ne prie pas. De quoi celui-ci parle-t-il à Dieu « Tels font les riches quand ils sont pauvres. – Seigneur, dit-il, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes qui sont injustes, voleurs, adultères ; ni même comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’ai. » Il se vantait, mais c’était de l’enflure, non de l’abondance. Il se croyait riche et n’avait rien, tandis que l’autre se croyait pauvre quand déjà il avait quelque chose ; car pour n’en pas dire davantage, il avait déjà la piété de se confesser. Et tous deux redescendirent. Mais « le publicain justifié plutôt que le pharisien : car quiconque s’exalte sera humilié, quiconque s’humilie sera exalté[2]. »

  1. Sag. 1, 11
  2. Lc. 18, 10-14