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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/170

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peine, inquiet ; tu examines ce que tu possèdes et à la vue de tant d’objets tu reconnais pour toi l’impossibilité d’aller t’établir au loin peut-être même pleures-tu dans cette obligation d’émigrer sans trouver moyen d’emmener ce que tu as amassé.C'est plus loin encore qu’il te faut émigrer puisque Dieu t’a dit, non pas : Va d’Occident en Orient, mais : va de la terre au ciel. Tu es plus embarrassé encore, parce que tu vois une difficulté plus grande et tu dis en toi-même : Si je ne trouvais ni assez de bêtes de charge ni assez de vaisseaux pour me mener d’Occident en Orient, comment trouver des échelles capables de, tout me monter au ciel ? – Ne sois pas en peine, reprend le Seigneur, ne sois pas en peine ; c’est moi qui t’ai fait riche, moi qui t’ai mis en mesure de donner et je t’ai préparé des portefaix dans les pauvres. Si par exemple tu trouvais clans le besoin un homme d’outre-mer, ou bien si tu trouvais dans quelque embarras un citoyen du pays où tu veux aller, ne dirais-tu pas : Cet homme est du lieu où je veux me rendre ; il manque ici de quelque chose, je vais le lui avancer afin qu’il me le rende par là ? Le pauvre est ici dans l’indigence, et le pauvre est citoyen du royaume des cieux : pourquoi hésiter à le prendre pour l’aider à faire la traversée ? Quand on avance ainsi à un étranger, c’est dans l’espoir de recevoir davantage lorsqu’on sera arrivé au pays de cet étranger : faisons de même.
10. Pour cela il suffirait de croire, de ranimer notre foi. Nous nous livrons en effet à des agitations vaines. Pourquoi des agitations vaines ? Lorsque le Christ était endormi dans la barque, ses disciples faillirent être engloutis par les flots. Vous connaissez l’histoire : Jésus dormait, et ses disciples étaient dans le trouble ; les vents soufflaient avec violence, les flots se soulevaient et la barque allait être submergée[1]. Pourquoi ? Encore une fois c’est que Jésus dormait. Ainsi ta barque est agitée, ainsi ton cœur se trouble quand le vent des tentations souffle avec violence sur la mer du siècle. Pourquoi, sinon parce que ta foi est endormie ? et l’Apôtre Paul dit que par la foi le Christ habite dans nos cœurs[2]. Réveille donc le Christ dans ton âme, ranime ta foi, apaise ta conscience et ton esquif est sauvé, du naufrage. Comprends que l’auteur des promesses ne saurait tromper. Toutes encore ne te paraissent pas accomplies, parce que l’époque n’en est pas venue. Déjà néanmoins tu vois l’accomplissement d’un grand nombre. Dieu a promis son Christ, il l’a donné ; il a promis sa résurrection, il est ressuscité ; il a promis que son Église se répandrait dans tout l’univers, elle y est répandue ; il a prédit les tribulations mêmes et d’énormes calamités, n’en a-t-on pas vu ? Que reste-t-il ? Les promesses sont accomplies, les prédictions le sont aussi, et tu as peur que le reste ne s’accomplisse pas ! Ah ! tu devrais craindre, si tu ne voyais rien de ce qui a été annoncé. Voici des guerres, voici des famines, voici des renversements ; voici royaume contre royaume, voici des tremblements de terre, des calamités immenses ; les scandales se multiplient, la charité se refroidit, l’iniquité s’étend : lis, tout cela a été prédit. Lis et reconnais-le ; tout ce que tu vois était annoncé, et en comptant ce qui est arrivé, crois fermement que tu verras ce qui ne l’est pas encore. Quoi ! en voyant Dieu te montrer ce qu’il a prédit, tu ne crois pas qu’il donne ce qu’il a promis ? Tes inquiétudes mêmes doivent être l’affermissement de ta foi.
11. Si nous sommes à la fin du monde, il faut le quitter et non l’aimer. Comment ! il est agité et tu l’aimes ? Que serait-ce donc s’il était tranquille ? Comment t’attacherais-tu à sa beauté, puisque tu l’embrasses ainsi dans sa laideur ? Comment en cueillerais-tu les fleurs, puisque tu ne retires point la main du milieu de ses épines ? Tu ne veux pas laisser le monde, il te laisse et tu cours après ?
Ah ! mes très-chers, purifions nos cœurs et ne perdons point la patience ; appliquons-nous à la sagesse et observons la tempérance. Le travail passe, voici le repos ; les fausses douceurs passent aussi, et voici le bien désiré par l’âme fidèle, le bien après lequel soupire ardemment quiconque est étranger dans ce siècle : c’est la bonne patrie, la patrie céleste, la patrie où on voit les anges, la patrie où nul habitant ne meurt et où n’entre aucun ennemi ; la patrie où tu pourrais avoir Dieu pour éternel ami sans avoir aucun ennemi à redouter.

  1. Mt. 8, 23-27
  2. Eph. 3, 17