Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/176

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« Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté. »
2. « Afin de jouir aussi de son bonheur. » Quoi donc ? Que signifie cette seconde partie ? Dirons-nous que le motif pour lequel il faut demeurer avec un ami dans sa pauvreté et lui être fidèle soit le désir de jouir aussi de son bonheur ? Dirons-nous : Maintenant il est pauvre, mais il s’enrichira et il ne te fera point part de son opulence si dans ton orgueil tu dédaignes maintenant sa pauvreté. Sois donc fidèle avec lui, lors même qu’il est pauvre, afin de jouir de son bonheur quand la fortune lui sera revenue et d’y trouver l’allégresse avec lui ? Sois fidèle avec lui ; il est pauvre, mais il a dans sa foi un grand trésor. Tu te disposais et tu aspirais à posséder avec lui quelque terre, si toutefois il en avait une que vous pussiez posséder ensemble : n’est-il pas beaucoup plus sûr de posséder avec lui la foi ? Peut-être est-il possible qu’il soit dépouillé de ses biens par quelque scélérat ; qui pourra lui ravir sa foi ? Que signifie donc : « Afin de jouir aussi de son bonheur ? » Cela signifie sans doute que de pauvre qu’il est il pourra devenir riche et que pour n’avoir pas dédaigné sa pauvreté tu partageras son opulence.
3. L’explication vulgaire donnée au premier membre de cette phrase me parait convenable mais, je l’avoue, l’explication du second membre me blesse. Si en effet le motif pour lequel tu demeures fidèle à ton ami dans sa pauvreté est le désir de profiter de ses trésors quand il en aura acquis, ce n’est pas ton ami lui-même, c’est quelque autre chose que tu aimes en lui. La foi et l’espérance sont deux bonnes amies ; la charité l’emporte sur elles. « Maintenant, dit l’Apôtre, demeurent toutes les trois la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois est la charité : pratiquez la charité [1]. » Je m’adresse donc à cet ami. Je t’en prie, lui dis-je, gardes-tu la foi à ton ami dans sa pauvreté ? – Certainement, répond-il, j’ai appris ce devoir dans les livres sacrés, je l’ai recommandé à mon cœur et confié à ma mémoire : je me le rappelle avec plaisir, je le pratique avec plus de plaisir encore. Oui, j’ai entendu cette sainte parole : « Sois fidèle avec ton ami dans sa pauvreté. » – Pourquoi cela, ajouté-je ? Est-ce à cause de ce qui suit, c’est-à-dire : « afin que tu profites de son bonheur ? » Qu’as-tu donc en vue ? – J’espère ; reprend-il, que pour n’avoir pas dédaigné son malheur, je fierai admis au partage de sa félicité, lorsqu’il sera enrichi et comblé de biens. – Souffre que je te questionne encore un peu. Et si cet homme avec qui tu demeures fidèle dans sa pauvreté ne devient jamais riche ? Et s’il doit rester pauvre jusqu’à la mort ? Ton espérance frustrée, ne seras-tu plus fidèle ? Dans l’impossibilité de partager l’or du riche, te repentiras-tu d’avoir été fidèle avec le pauvre ? Si mon interlocuteur a des sentiments humains, que dis-je ? s’il a des sentiments vrais, il se troublera de mes questions et me répondra que je dis vrai. Il est bien d’être fidèle à un ami ; mais si on lui est fidèle dans sa pauvreté pour profiter de ses richesses, pour les partager avec lui, il n’est pas douteux qu’en le voyant mort indigent et sans l’opulence qu’on espérait, on se repentira de toute cette fidélité et l’on perdra misérablement fout le fruit de ce qu’on a fait pour lui. – Tu le vois donc, il faut approfondir davantage cette pensée et l’entendre, non dans le sens que peut y donner le vulgaire, mais dans le sens qu’avait en vue l’autorité divine lorsqu’elle l’a révélée afin de nous y monter quelque grande vérité, de nous y tracer une conduite et des devoirs pour lesquels nous n’avons à craindre ni déception ni regrets. Il est donc nécessaire pour la saisir de prendre un autre moyen.
4. C’est pourquoi contemple le pauvre Lazare gisant à la porte du riche. À la pauvreté Lazare joignait encore des infirmités douloureuses ; il n’avait pas même la santé corporelle, l’unique patrimoine du pauvre. Il était de plus couvert d’ulcères que les chiens lui léchaient. Or le riche qui habitait ce palais était vêtu de pourpre et de fin lin ; chaque jour il faisait grande chère et refusait d’être fidèle avec le pauvre. Mais le Seigneur Jésus, l’auteur et l’appréciateur de la foi, préférait avec justice celle de Lazare aux richesses et aux délices du riche ; il préférait ce domaine du pauvre à l’orgueil du riche. Aussi a-t-il fait connaître le nom de ce pauvre, tandis qu’il a jugé devoir laisser dans l’oubli le nom du riche mauvais. « Il y avait, dit-il, un homme riche qui était vêtu de pourpre et de fin lin et qui chaque jour faisait grande chère. Il y avait aussi un mendiant nommé Lazare. » Ne vous semble-t-il pas que le Seigneur ait lu dans le livre mystérieux où il a trouvé écrit le nom du pauvre et non celui du riche ? Ce livre en effet est le livre des vivants et des justes, non le livre des orgueilleux et des impies. Les hommes publiaient le nom de ce

  1. 1Cor. 13, 13 ; 14, 1