Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/216

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« Complaisez à tous en toutes choses, comme moi-même je complais à tous en toutes choses, ne cherchant pas ce qui m’est avantageux, mais ce qui l’est au grand nombre, afin qu’ils soient sauvés ; » et encore : « Ne soyez une occasion de scandale ni pour les Juifs, ni pour les Gentils, ni pour l’Église de Dieu [1] ? » N’as-tu pas entendu cet Apôtre dire encore : « Nous tâchons de faire le bien, non seulement devant Dieu mais aussi devant les hommes[2] ? » Explique-moi donc, reprend mon adversaire, de quelle manière je dois accorder des pensées aussi diverses et aussi contraires. Ici l’Apôtre dit « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ[3] ; » là : « Complaisez à tous en toutes choses comme je complais moi-même en toutes choses ; » ici : « Voici notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience ; » là : « Nous tâchons de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes. » Veux-tu m’écouter tranquillement ? Veux-tu ne pas troubler l’eau en toi-même ? je parviendrai peut-être, en m’y employant de toutes mes forces, à résoudre la difficulté. Il y a des hommes qui jugent témérairement, qui déchirent la réputation, qui calomnient dans l’ombre, qui murmurent, qui cherchent à deviner ce qu’ils ne voient pas et qui vont même jusqu’à publier ce qu’ils ne croient pas : quelle autre ressource contre ces caractères que le témoignage, de notre conscience ? Lors même que nous voulons plaire à quelqu’un, ce n’est pas notre gloire que nous cherchons ou que nous devons chercher, mais le salut d’autrui ; nous devons désirer, si nous nous conduisons bien qu’on ne s’égare pas en nous suivant, qu’on nous imite si nous imitons Jésus-Christ[4], et si nous ne l’imitons pas qu’on le prenne pour modèle. Il est en effet le pasteur de son troupeau, il en est même le seul pasteur dans la personne de tous ceux qui le paissent saintement, parce que tous ne forment avec lui qu’un pasteur. Ainsi donc ce n’est pas notre avantage que nous avons en vue quand nous voulons plaire aux hommes ; nous sommes heureux qu’ils aiment ce qui est bon, et cela pour leur profit et non pour notre gloire. On voit par là qui accusait l’Apôtre par ces paroles : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ », et en faveur de qui il prononçait celles-ci : « Plaisez à tous en toutes choses, comme en toutes choses je plais moi-même à tous. » Tout est clair, tout est calme, tout, est pur et limpide ; à toi maintenant de paître et de boire sans rien troubler, sans fouler rien aux pieds.
13. N’as-tu pas entendu le Maître des Apôtres, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même s’exprimer ainsi : « Que vos œuvres brillent devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes actions et glorifient votre Père qui est dans les cieux [5] ; » votre Père qui vous a faits si bons ? Car nous sommes le peuple de ses pâturages et les brebis de ses mains[6] ; d’où il suit que si tu es bon, c’est lui qu’il en faut louer et non pas toi, puisque de toi-même tu ne pouvais être que mauvais. Pourquoi accuser la vérité de se contredire : vouloir être loué quand tu fais le bien, et quand tu fais le mal l’imputer au Seigneur ? S’il a dit : « Que vos bonnes œuvres brillent devant les hommes », il a dit aussi dans le même discours : « N’accomplissez pas devant les hommes votre justice. » Dans l’Évangile se remarque donc la même apparente contrariété que dans l’Apôtre. Mais si tu ne troubles point en toi l’eau mystérieuse, tu reconnaîtras ici également l’accord des Écritures et tu ne te mettras point en désaccord avec elles. Considérant en effet ces hommes qui se flattent publiquement, qui se vantent parce qu’ils regardent les éloges d’autrui comme la fin et ; la récompense de leurs bonnes œuvres, « En vérité je vous le déclare, dit le Seigneur, ils ont reçu leur récompense », et pour nous défendre de les imiter : « Gardez-vous, ajoute-t-il, d’accomplir votre justice devant les hommes », en vous proposant comme but « d’être remarqués par eux[7] », et sans pousser votre intention au-delà. Non, ne cherchez pas, dans le bien que vous faites, à être vus des hommes, ne mettez pas votre fin dans leur estime, ne vous bornez pas à désirer d’être regardés par eux. En nous recommandant de faire le bien devant eux, il ne veut donc pas bue nous nous arrêtions là ; après avoir dit ; « Que vos bonnes œuvres brillent devant les hommes pour qu’ils en soient témoins », il passe outre, il t’élève plus haut, au-dessus de toi-même, car en restant en toi tu tomberais infailliblement, et il te met en lieu sûr : « Qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » Ne te fâche point de le voir glorifier, demeure en lui et tu seras glorifié avec

  1. 1 Cor. 10, 33, 32
  2. 2 Cor. 8, 21
  3. 2 Cor. 1, 12
  4. Id. 4, 16
  5. Mt. 5, 16
  6. Ps. 94, 9
  7. Mt. 6, 12