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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/296

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néanmoins vous savez donner de bonnes choses à vos enfants. » Or voyez quel Père donne le Sauveur à ceux qui sont mauvais ! « Combien plus votre Père », dit-il. Le Père de qui ? Sans aucun doute de ceux qui sont mauvais. Et quel est ce Père ? « Nul n’est bon que Dieu seul [1]. »
2. Aussi, mes frères, si nous avons un bon Père, tout mauvais que nous sommes, c’est pour ne pas rester mauvais toujours. On ne fait pas le bien quand on est mauvais. Mais si l’homme mauvais ne peut faire le bien, comment peut-il se rendre bon ? Nul ne rend bon, de mauvais qu’on était, que Celui qui est toujours bon. « Guérissez-moi, Seigneur, et je serai guéri ; sauvez-moi, et je serai sauvé[2]. » Pourquoi ces hommes vains me, disent-ils vainement : Tu te sauveras si tu veux ? « Guérissez-moi, Seigneur, et je serai guéri. » Le Bien suprême nous a créés bons car Dieu a fait l’homme droit[3] – c’est notre liberté qui nous, a rendus mauvais. De bons nous avons pu devenir mauvais ; de mauvais nous pourrons aussi devenir bons. Mais c’est celui qui est constamment bon qui rend bon de mauvais que l’on est, car l’homme ne saurait se guérir par sa propre volonté. Tu ne cherches pas de médecin pour te blesser, mais quand tu es blessé, tu en cherches un pour te guérir. Ainsi donc, tout mauvais que nous sommes, nous savons donner à nos enfants ce qui est bien dans la vie présente, les biens temporels les biens matériels, les biens charnels ; car ces choses sont aussi des biens : qui en doute ? Un poisson, un neuf, un pain, un fruit, du blé, cette lumière qui nous éclaire, cet air que nous respirons, sont autant de biens. Les richesses elles-mêmes, ces richesses dont s’enorgueillissent les hommes, au point de ne pas reconnaître leurs semblables dans les autres hommes ; ces richesses dont ils se pavanent jusqu’à préférer le splendide vêtement qui les distingue au corps qui leur est commun avec autrui, ces richesses donc sont aussi des biens. Mais tous ces biens dont je viens de parler peuvent être possédés par les bons et les méchants, et tout biens qu’ils sont, ils ne sont pas capables de rendre bons.
3. Il y a donc un bien qui rend bon, et un bien qui sert à faire le bien. Dieu est le bien qui rend bon ; nul en effet ne peut rendre l’homme bon que Celui qui est toujours bon. Pour devenir bon prie donc Dieu. Il est un autre bien qui sert à faire le bien, c’est tout ce que tu possèdes c’est l’or c’est l’argent. Ce bien ne te rend pas bon, mais il te sert à faire du bien. Tu as de l’or, tu as de l’argent, et tu désires de l’or et de l’argent. Tu en as et tu en désires ; tu en es rempli, et tu en as soif. Ah ! c’est une maladie, ce n’est pas l’opulence véritable. Il est des malades qui sont remplis d’humeurs et qui ont toujours soif. Ils ont soif de ce qu’ils ont en trop grande abondance : comment donc aspirer à l’opulence quand tes désirs sont en quelque sorte ceux d’un hydropique ? Tu as de l’or, c’est bien ; tu as, non ce qui te rend bon, mais ce qui te sert à faire le bien. Or quel bien, dis-tu, ferai-je de mon or ? Ne connais-tu pas ce Psaume : « Il a distribué, il a donné aux pauvres ; sa justice demeure éternellement [4]. » La justice, voilà le bien véritable, le bien qui te rend bon. Si donc tu possèdes ce bien qui te rend bon avec le bien qui ne te rend pas bon fais du bien. Tu, as de l’argent, donne-le, tu auras la justice en donnant ton argent. Car il est dit : « Il a distribué, il a donné aux pauvres ; sa justice demeure éternellement. » Vois ce qui diminue et, vois ce qui s’accroît. L’argent diminue et la justice s’accroît. Ce qui diminue, c’est ce que tu devais quitter, c’est ce que tu devais laisser d’ailleurs ; et ce qui augmente, c’est ce que tu dois posséder éternellement.
4. Je vous enseigne donc à gagner, apprenez à faire le commerce. Tu loues un marchand qui échange du plomb pour de l’or ; et tu ne loues pas celui qui échange de l’argent pour la justice ? Moi, dis-tu, je ne donne pas mon argent, parce que je n’ai pas la justice en partagé. Répand son argent qui possède la justice. N’ayant pas de justice je veux avoir au moins de l’argent, – Ainsi tu ne veux point distribuer ton argent parce que tu manques de justice ? Ah ! plutôt, afin d’acquérir la justice, donne ton argent. De qui en effet peux-tu obtenir la justice, sinon de Dieu, la source de toute justice ? Si donc tu veux l’avoir, mendie près de ce Dieu qui vient de t’inviter, dans l’Évangile, à demander, à chercher, à frapper. Il connaissait ton indigence et ce Père de famille, ce grand Riche, ce riche qui possède les richesses spirituelles et éternelles, t’invite et te presse de demander, de chercher, de frapper : « Qui demande, reçoit ; qui cherche, trouve ; à qui frappe, il sera ouvert. » Il t’excite à demander ; et il le refuserait ce que tu demandes !

  1. Luc. 18, 19
  2. Jer. 17, 14
  3. Ecclé. 7, 30
  4. Psa. 110, 9