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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/306

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le Seigneur nous donner sur toutes le même pouvoir que sur celle qui vient d’être brisée. Nous recommandons à votre charité de ne rien faire quand vous n’en avez pas le pouvoir. C’est le fait des méchants, des Circoncellions emportés, de détruire sans l’autorité nécessaire, et de courir à la mort sans raison. Vous tous qui étiez dernièrement aux Grottes [1], vous savez ce que nous y avons lu devant vous. « Lorsque ce pays vous sera soumis ; » Vous sera soumis précède la règle de conduite qui va être tracée ; « vous renverserez leurs autels, vous abattrez leurs bois sacrés et vous briserez toutes leurs statues[2]. » Faites cela après, avoir reçu le pouvoir vous-mêmes. N’avons-nous pas ce pouvoir ? Nous n’agissons pas ainsi. Mais nous n’y manquons pas lorsque nous l’avons. Beaucoup de païens possèdent ces abominations dans leurs propriétés : y entrons-nous pour les mettre en pièces ? Nous travaillons d’abord à renverser les idoles dans leurs cœurs, et quand ils sont chrétiens, ou bien ils nous invitent à cette bonne œuvre, ou bien ils nous préviennent. Notre devoir maintenant est de prier pour eux, mais non de nous irriter contre eux. Si nous ressentons une douleur profonde, c’est contre des Chrétiens, c’est contre ceux de nos frères qui veulent entrer de corps à l’église pour avoir l’esprit ailleurs. On doit être ici tout, entier. Si l’on a ici ce que voit l’œil de l’homme, pourquoi avoir dehors ce que voit l’œil de Dieu ?
18. Or sachez, mes chers, que par leurs murmures ils font cause commune avec les hérétiques et avec les Juifs. Les hérétiques, les juifs et les païens se sont unis contre l’unité. Il est arrivé en quelques lieux que les Juifs ont été châtiés pour leur rapacité ; et ils nous accusent, ils croient ou feignent de croire que toujours nous sommes en quête de tels supplices à leur infliger. Il est arrivé aussi que pour leurs impiétés et leurs violences brutales, des hérétiques ont été punis par les lois ; ils répètent que nous ne sommes occupés qu’à leur susciter des tracasseries pour les perdre. On a cru devoir édicter des ordonnances contre les païens, ou plutôt pour les païens, s’ils veulent être sages. De même en effet qu’en rencontrant des enfants sans raison qui jouent à la boue et se souillent les mains, le maître prend un visage sévère, leur fait tomber la boue des mains et leur donne un livre ; ainsi Dieu a voulu se servir des princes qui lui sont soumis pour jeter la terreur dans l’âme de ces grands enfants, les déterminer à jeter la boue et à faire quelque chose de sérieux. Et que peuvent-ils faire ainsi d’avantageux ? « Partage ton pain avec celui quia faim, et conduis dans ta demeure l’indigent sans abri[3]. » Les enfants toutefois échappent encore à l’œil du maître, ils retournent secrètement à leur boue, et quand on les rencontre ils cachent leurs mains pour n’être pas convaincus. Tel est donc le dessein de Dieu sur eux : mais ils s’imaginent que nous sommes partout à la recherche de leurs idoles pour les briser partout où nous les trouvons. Eh ! pourquoi les rechercher ? Ne voyons-nous pas les lieux où elles sont ? Ignorons-nous véritablement leurs demeures ? Nous ne les brisons pas, néanmoins, parce que Dieu ne les a pas mises en notre pouvoir. Quand Dieu le fait il ? Quand le possesseur devient chrétien. Le maître d’une propriété vient de demander qu’on en détruise les idoles. Si au lieu de donner cette propriété à l’Église il voulait simplement les en faire disparaître, avec quelle généreuse ardeur les chrétiens ne devraient-ils pas venir en aide à cette âme chrétienne, qui veut dans son domaine témoigner à Dieu sa reconnaissance et n’y rien laisser qui l’outrage ? Mais il a fait plus, il a donné à l’Église la propriété même. Et sur cette propriété appartenant à l’Église il fallait laisser des idoles ? Voilà, frères, ce qui déplaît aux païens. Peu satisfaits de voir que nous laissons sans les briser les idoles dans leurs campagnes, ils exigent que nous les conservions jusque dans les nôtres. Oui, nous prêchons contre les idoles et nous les ôtons du cœur ; nous sommes les persécuteurs des idoles et nous le confessons. Devons-nous donc en être les sauveurs ? Je ne les renverse pas quand je ne le puis ; je ne les renverse pas quand le maître se plaint. Mais quand il le demande, quand il s’en montre reconnaissant, ne serais-je pas coupable de ne les renverser pas !

  1. Mappalia, le lieu où était enseveli le corps de saint Cyprien.
  2. Deu. 7, 1, 5
  3. Isa. 58, 7