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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/31

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le Vanneur ait nettoyé son aire, il en est d’autres qui intérieurement mauvais restent encore dans la communion catholique : le bon chrétien doit les supporter jusqu’à la fin, parce que le Seigneur ne vannera qu’au jour du jugement. C’est ce que nous ne cessons de vous recommander et nous croyons au nom du Christ que vous avez à cœur ces recommandations. Est-ce pour la première fois que vous entendez les leçons que l’on vient de vous lire ? Ne vous les répète-t-on pas chaque jour ? Mais s’il est nécessaire que l’on vous lise chaque jour les divines Écritures, pour empêcher les désordres du siècle et ses épines de germer dans vos cœurs et d’étouffer la semence que l’on y a répandue ; il est nécessaire aussi de vous annoncer toujours la parole de Dieu : vous pourriez l’oublier et dire un jour que vous n’avez pas entendu ce que nous affirmons vous avoir prêché.

2. Parmi ceux qui se présentent à la grâce du baptême, et voici le temps où au nom du ciel ils s’empresseront de la recevoir, il en est beaucoup qui croient effacés et entièrement effacés tous les péchés qu’ils avaient commis, et qui sortent avec la persuasion qu’ils ne sont redevables de rien au Seigneur : semblables à ce serviteur qui rendait compte à son maître et qui lui redevait dix mille talents ; il le quitta déchargé, non qu’il ne lui dût rien, mais parce que dans sa clémence le maître l’avait tenu quitte de tout. Cependant, mes frères, ce même serviteur ne nous glace-t-il pas de frayeur ? Parce qu’il ne voulut point tenir quitte un de ses compagnons ni lui donner du temps pour le paiement de cent deniers, le maître lui réclama les dix mille talents qu’il lui avait remis [1]. Vous qui allez sortir du baptême acquittés et absous de tous vos péchés, prenez donc garde de refuser le pardon à qui pourra vous offenser ; tremblez que non seulement on ne vous pardonne plus à l’avenir, mais qu’on ne réclame encore tout ce qu’on vous avait quitté. Ne dis donc pas : Qui observe ou qui a observé cette règle ? On meurt en se tenant ce langage. Aime ton ennemi, dit le Seigneur ; et tu réponds, toi : Qui le fait ? Ainsi, parce qu’on n’accomplit point son devoir on s’imagine que personne n’a pu l’accomplir ? Il s’accomplit dans le cœur, comment peux-tu voir qui l’observe ? Mais tu présumes que celui qui réclame ne l’a point accompli. Il peut se faire, en effet qu’en entendant se plaindre du coupable et envoyant qu’on le fait punir, tu croies qu’on ne lui pardonne point. Mais pourquoi ? Est-ce qu’en châtiant ton fils tu gardes contre lui quelque haine dans le cœur ? J’ai donc raison de le dire, c’est une affaire tout intérieure et Dieu seul distingue si le pardon est accordé. Il en est qui ne sévissent point extérieurement contre leurs ennemis, et l’on dirait qu’ils pardonnent ; mais intérieurement ils sévissent, ils leur souhaitent du mal et même la mort ; ainsi nourrissent-ils contre eux le mauvais vouloir tout en ne paraissant point se venger. Il en est d’autres au contraire qui semblent rendre le mal pour le mal ; mais la correction qu’ils infligent est un témoignage d’affection ; ils veulent que leur ennemi parvienne à l’éternelle vie, et plus ils l’aiment, plus ils désirent le voir corrigé. N’est-ce pas ainsi que Dieu même nous affectionne ? N’est-ce pas lui qui pour nous rendre, autant qu’il est possible, semblables à lui, nous exhorte à aimer nos ennemis ? « Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père qui est dans les cieux, et qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, pleuvoir également sur les justes et sur les injustes[2]. »

Mais quel n’est point son amour pour nous, puisqu’en faveur des pécheurs et des impies il a envoyé sur la terre son Christ, qui devait y être crucifié, et qui nous a rachetés au prix de son sang, quand nous étions devenus ses ennemis pour avoir aimé ses œuvres au lieu de lui-même ? Oui, au moment même où nous étions si coupables, « Dieu envoya son Fils », comme dit l’Apôtre[3], et il permit à des impies de le mettre à mort pour d’autres impies. Ah ! s’il nous a fait un pareil don quand nous étions encore infidèles, que ne nous réserve-t-il point, maintenant que nous croyons en lui ? Voilà comment Dieu sait aimer les hommes ! Cependant remarquez-le, mes frères ; est-ce qu’il ne les punit point ? Est-ce qu’il ne les corrige point ? S’il ne les corrige point, d’où viennent les famines ? D’où viennent les maladies ? D’où viennent les épidémies et les infirmités ? Ce sont autant de châtiments divins. Tout en aimant, Dieu, donc, corrige ; et toi, si quelqu’un dépend de ton autorité, conserve-lui un amour sincère, mais ne lui refuse pas une correction sérieuse. Ce refus serait la ruine de ta charité, il laisserait mourir dans le crime celui que le châtiment

  1. Mat. 18, 23-34
  2. Mat. 5, 48, 45
  3. Gal. 4, 4