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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/33

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préférable. » Le Seigneur lui répondit que deux peuples et deux nations s’entre-choquaient dans son sein et que l’aîné servirait le plus jeune [1]. Cet oracle se renouvela plus tard, lorsque Isaac bénissait Jacob, croyant bénir Ésaü. Isaac représentait la loi. La loi semble donnée aux Juifs, et l’empire est réellement aux Chrétiens. Remarquez bien que la loi semble promettre l’empire aux Juifs. Cependant il leur est dit : « C’est pourquoi l’empire vous sera enlevé et donné à une nation qui pratique la justice[2]. » Il sera enlevé à Ésaü et donné à Jacob. Ésaü dès sa naissance était velu, c’est-à-dire couvert de péchés, attaché aux péchés. Mais Jacob, pour obtenir la primauté, s’entoura les bras de peaux de chevreaux ; et son père le bénit lorsqu’en le palpant il sentit qu’il était velu. Jacob portait ces peaux velues sans y être attaché ; ainsi l’Église supporte et supportera jusqu’à la fin les péchés qui ne sont pas les siens. N’est-ce pas ainsi encore que. Notre-Seigneur Jésus-Christ a porté les iniquités d’autrui ?-Le père bénit le plus jeune de ses fils. Comment était-il en le bénissant ? O profond mystère ! comme devaient être les Juifs. Les Écritures demandent un regard pénétrant ; et en bénissant Jacob, Isaac parait avoir été trompé, avoir pris ses fils l’un pour l’autre. Celui d’entre eux qui était allé chasser arrive, et présentant à son père ce que celui-ci avait demandé : « Mon père, dit-il, mange ce que tu as désiré. – Qui es-tu ? reprit Isaac. – Je suis Ésaü ton fils aîné, répondit celui-ci. – Tu es bien Ésaü ? ajouta le père. Quel est donc cet autre qui m’a déjà apporté de la nourriture ? J’en ai mangé, je l’ai béni et il est béni[3] » Oh ! n’est-ce point ici qu’il fallait se fâcher contre un trompeur, contre un fourbe ? Ne fallait-il pas dire : pourquoi m’a-t-il trompé ? Que son frère prenne pour lui la bénédiction donnée et que cet autre soit maudit ? – Mais tout ceci ne prouve-t-il pas que cet évènement fut mystérieux et destiné à faire connaître que l’aîné servirait le plus jeune ? Ésaü, en effet, reçut aussi une bénédiction ; mais il y était dit : « Tu seras, le serviteur de ton frère. » Il s’était écrié : « As-tu épuisé tes bénédictions ? Bénis-moi aussi. – Après l’avoir fait si grand, reprit Isaac, que puis-je te donner encore ? – Bénis-moi aussi, mon père, » ajouta-t-il en insistant. Il extorqua donc et reçut de son père une bénédiction à peu près semblable. Comme à Jacob la rosée du ciel et la graisse de la terre devaient lui assurer d’immenses richesses ; mais Isaac ajouta : « Tu serviras ton frère ; et viendra l’époque où tu secoueras son joug de ton cou. » Que signifie : « Et viendra l’époque où tu secoueras son joug de ton cou ? » N’était-ce point annoncer que malgré leurs péchés, les Juifs figurés par Ésaü auraient le pouvoir et la liberté de changer et de se réunir à leurs frères ?
5. Contemplez ce mystère. Le Juif est aujourd’hui serviteur du Chrétien. Il est évident aussi, vous en êtes témoins, que Jacob remplit tout l’univers. Or pour vous assurer qu’Isaac parlait de l’avenir, étudiez l’histoire des deux frères et reconnaissez que l’on ne vit point en eux l’accomplissement de cette prédiction : « L’aîné servira le plus jeune [4]. ». Nous lisons qu’Esaü devint fort riche et qu’il commença à régner au sein d’une pleine opulence[5] ; au lieu que Jacob fut réduit à paître les troupeaux d’autrui. On vient de le lire aussi : lorsqu’il rentra dans son pays, comme il redoutait son frère, il lui envoya d’innombrables troupeaux avec un serviteur chargé de lui dire : « Voici les offrandes de ton frère[6], » et il ne voulut paraître devant lui qu’après l’avoir apaisé par ses présents. De plus, il l’adora de loin en allant à sa rencontre[7]. Quand le plus jeune semble ainsi adorer l’aîné, comment se vérifie : « L’aîné servira le plus jeune ? » Si l’histoire ne nous montre point D’accomplissement de cet oracle, c’est pour nous faire entendre qu’il regardait l’avenir. Aujourd’hui en effet le plus jeune des fils domine, et l’aîné a perdu l’empire. Jacob ne remplit-il point la terre ? Ne tient-il pas sous son sceptre les peuples et les États ? Un Empereur Romain, déjà devenu Chrétien, a défendu aux Juifs de s’approcher de Jérusalem ; et dispersés dans l’univers ils sont comme les conservateurs de nos Livres sacrés ; comme ces esclaves qui suivent leurs maîtres, quand ils vont au tribunal, portent les dossiers et demeurent à la porte. Tel est aujourd’hui le fils aîné en présence du plus jeune. Rencontre-t-on des difficultés dans les Écritures ? On cherche à connaître la vérité par les livres des Juifs. Ils sont donc dispersés pour tenir les livres à notre disposition, et l’aîné sert le plus jeune. À quelle dignité est élevé le peuple chrétien et à quel abaissement est descendue la nation juive ! A peine ont-ils essayé un léger mouvement contre nous,

  1. Gen. 25, 22-23
  2. Mt. 21, 43
  3. Gen. 27, 31-40
  4. Id. 25, 22-23
  5. Id. 36, 7
  6. Id. 32, 18
  7. Id. 33, 8