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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/36

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SERMON VI. MOÏSE ET LE BUISSON ARDENT[1].

ANALYSE. – Saint Augustin entreprend de montrer ici une vérité bien souvent exprimée par lui et par les docteurs des premiers siècles, savoir que Jésus-Christ est comme voilé dans tous les faits de l’ancien Testament et que partout l’œil pénétrant de la foi peut le contempler avec amour. Lorsque Dieu se révèle à Moïse au milieu du buisson ardent on peut considérer : 1° les circonstances principales de cet évènement ; 2° les miracles mêmes que le futur législateur opère auprès du buisson sacré. Or dans tout se montre le Fils de Dieu. – I. Jésus se révèle dans les circonstances mêmes de l’apparition. En effet : 1° Dieu ne se montre pas à Moïse dans sa nature divine, mais sous la forme sensible créée par lui : ainsi le Fils de Dieu a du se revêtir de notre nature pour se donner : à nous ; 2° le buisson épineux ne se consume pas : la loi ne pouvait abolir le péché, il fallait l’Incarnation du Sauveur : 3° Dieu prend devant Moïse un double nom : un nom qui représente l’immutabilité de sa nature et un nom qui rappelle ses communications paternelles avec les hommes. Ainsi, du sein de son éternité, le Verbe divin est descendu parmi nous. – II. Trois miracles surit opérés par Moïse, et tous trois reportent la pensée vers le Sauveur des hommes : 1° la verge ou le sceptre de Moïse désigne l’autorité. Pourquoi cette verge a-t-elle été changée en serpent ? N’est-ce pas ainsi que la suprême Majesté est devenue le vrai serpent d’airain pour nous guérir de nos blessures ? 2° Pourquoi la main lépreuse de Moïse recouvre-t-elle la santé quand il la porte sur son cœur, sinon pour indiquer que nous trouvons dans le cœur de. Jésus-Christ la délivrance de tous nos maux ? 3° L’eau est prise dans l’Écriture pour un symbole de sagesse. Que signifie l’eau changée en sang, sinon la Sagesse souveraine incarnée et répandant son sang pour l’amour de nous ?


1. Pendant qu’on faisait les saintes lectures, nous nous sommes spécialement appliqué à la première d’entre elles, et nous nous empressons de partager avec votre sainteté ce que le Seigneur nous suggère : si vous entendiez charnellement les divins mystères, il serait à craindre que vous ne reculiez au lieu d’avancer. Ce qui s’offre d’abord à notre esprit, c’est que Dieu apparut à Moïse. Quand il daigne apparaître dans sa substance et tel qu’il est, c’est seulement aux cœurs purs. « Heureux les cœurs purs, dit l’Évangile, car ils verront Dieu[2]. » Et s’il a voulu se montrer quelquefois aux yeux corporels de ses saints, ce n’est point dans sa nature même, c’est dans une forme visible, sensible, qui peut réellement tomber sous nos sens. Tantôt c’est une voix qui retentit aux oreilles, c’est tantôt le feu qui brille aux regards, c’est quelquefois un ange qui se révèle sous quelque visible apparence et qui fait le personnage de Dieu même. C’est ainsi, mes frères, que Dieu apparut à Moïse. Cette Majesté souveraine qui a fait le ciel et la terre, qui gouverne le monde entier et que les Anges avec leurs purs esprits s’attachent à contempler dans sa suprême beauté, il n’a pu se manifester aux regards mortels d’un homme sans avoir pris une forme visible et sensible qui pût frapper les yeux. Cette Sagesse divine elle-même, par qui tout a été fait, se montrerait-elle aux humains si elle n’avait pris une chair humaine ?
2. De même donc que le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu a pris une chair pour se révéler à ; nos yeux, ainsi toutes les fois que Dieu a voulu se rendre sensible aux hommes, il a daigné j se couvrir de quelque forme visible. Mais les Actes des Apôtres disent expressément que ce fut un Ange qui apparut à Moïse dans le buisson [3], Ce livre serait-il vrai et l’Exode serait-il faux ? Ou bien l’Exode serait-il faux et les Actes seraient-ils vrais ? Mais si nous sommes chrétiens, si notre foi est éclairée, chacun de, ces livres est également véridique. Et si tous deux sont vrais, comment l’un enseigne-t-il que ce l’ut Dieu qui apparut, et l’autre, que ce fut un Ange ? N’est-ce pas que le Saint-Esprit, en révélant dans les Actes qu’un Ange apparut, a expliqué l’Exode et fait connaître de quelle manière Dieu se montra ? Ce passage des Actes a porté la lumière dans ce qui restait ici d’obscur, et pour détourner de nous là pensée que Dieu ait apparu en lui-même, on nous dit que l’Ange, fut la forme créée sous laquelle il se manifesta. Mais, si c’est un Ange qui se montre pourquoi ces expressions : « Dieu dit ; Dieu appela Moïse qui s’approcha de lui ; Dieu dit à Moïse ? ». Parce que l’attention se porte, non sur le temple ou sur l’ange, mais sur celui qui l’habite, c’est-à-dire sur Dieu, dont l’Ange était le temple. Dieu daigne demeurer dans un homme, parler par sa bouche, et quand un prophète parle, on ne craint pas de dire : « Dieu a parlé. » Ne

  1. Exod. III
  2. Mt. 5, 8
  3. Act. 7, 30