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SERMON LXXX. DE LA PRIÈRE[1].

ANALYSE. – Pour obtenir de ne mériter plus le reproche d’incrédulité que leur adresse Jésus-Christ, les Apôtres recourent à la prière. Un mot de son objet, de son efficacité, de sa nécessité. – Son objet. Dieu sait ce qu’il nous faut ; il est donc nécessaire de nous abandonner complètement à lui lorsque nous demandons les biens temporels, et de solliciter les biens spirituels avec une persévérante confiance. – Son efficacité. Jésus rencontre deux sortes de malades : des malades qui veulent être guéris, et des malades si désespérés qu’ils ne se croient même pas malades. Or, telle est l’efficacité de sa prière, qu’il obtient la guérison de ces désespérés eux-mêmes. – Sa nécessité. Donc prions à l’exemple de Pierre marchant sur les eaux. Demandons avec une certaine réserve les biens temporels, car ils peuvent nous être nuisibles aussi bien qu’avantageux, et pour échapper sûrement aux maux qui nous affligent, soyons bons, et parfaitement soumis à Dieu.


1. Notre-Seigneur Jésus-Christ reproche à ses disciples mêmes leur incrédulité : nous l’avons vu pendant la lecture de l’Évangile. Comme ses disciples lui demandaient : « Pourquoi n’avons-nous pu chasser ce démon ? – C’est à « cause de votre incrédulité », leur répondit-il. Ah ! si les Apôtres sont incrédules, qui sera fidèle ? Et que deviendront les agneaux, si les brebis chancellent ? Toutefois, la miséricorde divine ne les abandonne point dans leur incrédulité, elle les reprend, elle les instruit, elle les élève à la perfection et les couronne. Aussi, pénétrés de leur faiblesse, ils disent quelque part, nous l’avons lu dans l’Évangile : « Seigneur, augmentez notre foi[2]. » — Oui, « Seigneur, s’écrient-ils, augmentez notre foi. » Leur premier avantage est de savoir ce qui leur manque ; et un avantage plus considérable, de savoir à qui le demander. « Seigneur augmentez notre foi. » N’était-ce pas porter leurs cœurs à la source et frapper afin d’obtenir qu’elle s’ouvrit pour les remplir ? Le Seigneur veut qu’on frappe à sa porte, non pour la tenir fermée, mais pour exciter les désirs.
2. Croyez-vous donc, mes frères, que Dieu ignore ce qu’il vous faut ? Il le sait, il connaît notre pauvreté et prévient nos désirs. Aussi, lorsqu’il apprend à prier et qu’il avertit ses Apôtres dune point parler beaucoup dans la prière, « Gardez-vous, dit-il, de parler beaucoup en priant ; car votre Père céleste sait de quoi « vous avez besoin avant que vous le lui demandiez[3]. » Le Seigneur cependant dit autre chose. Qu’est-ce ? Pour nous défendre de parler beaucoup dans la prière : « Ne parlez pas beaucoup, a-t-il dit, lorsque vous priez ; car votre Père sait de quoi vous « avez besoin avant que vous le lui demandiez. » Mais si notre Père sait de quoi nous avons besoin avant que nous le lui demandions, pourquoi parler, si peu même que ce soit ? A quoi bon même la prière, si notre Père sait de quoi nous avons besoin ? Il dit à chacun : Ne me prie pas longuement ; je sais ce qu’il te faut. – Si vous savez ce qu’il me faut, Seigneur, pourquoi vous prier même tant soit peu ? Vous ne voulez pas que ma supplique soit longue, vous exigez – même qu’elle soit presque nulle. Mais qu’enseigne-t-il ailleurs différemment ! Il dit bien : « Ne parlez pas longuement dans la prière » Cependant il dit encore dans un autre endroit : « Demandez et vous recevrez. » Et pour ôter la pensée qu’il n’aurait recommandé la prière que d’une manière accidentelle, il ajoute. « Cherchez et vous trouverez. » Dans la crainte encore que ces derniers mots ne paraissent prononcés qu’en passant, voici ceux qu’il y j oint, voici comment il conclut : « Frappez et il vous sera ouvert [4]. » Ainsi donc il veut que l’on demande pour recevoir, que l’on cherche Pour trouver et que pour entrer on frappe. Mais puisque notre Père sait d’avance de quoi nous avons besoin, pourquoi demander ? pourquoi chercher ? pourquoi frapper ? pourquoi, en demandant, en cherchant et en frappant, nous fatiguer à instruire plus savant que nous ? Ailleurs encore le Seigneur parle ainsi : « Il faut prier toujours sans jamais se lasser[5]. » S’il faut prier toujours, comment dire : « Gardez-vous de parler beaucoup ? » Comment prier toujours quand on finit sitôt ? D’un côté vous me commandez de terminer promptement ; d’autre part vous m’ordonnez de « prier toujours sans me « lasser ; » qu’est-ce que cela signifie? Eh bien ! prie aussi pour comprendre, cherche et frappe à la porte. Si ce mystère est profond,

  1. Mat. 17,18-20
  2. Luc. 17, 6
  3. Mat. 6, 7-8
  4. Mat. 7, 7
  5. Luc. 18, 1