Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/375

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en la rendant bonne ? Telle est, hélas ! l’insouciance des hommes pour leur propre vie, qu’ils ne veulent rien de mauvais qu’elle. Si tu achètes une terre, tu la veux bonne ; si tu, prends une épouse, tu la choisis bonne également ; désires-tu des enfants ? c’est à la condition qu’ils soient, bons ; tu ne veux pas même de mauvaises chaussures et tu te contentes d’une vie mauvaise ? Que t’a fait cette vie, pour ne vouloir rien de mauvais qu’elle, pour vouloir que de tout ce que tu possèdes il n’y ait rien de mauvais que toi ?
15. Je le crois, mes frères, si je prenais à part quelqu’un d’entre vous, pour le réprimander, il m’écouterait sans doute ; je reprends en public plusieurs d’entre – vous, tous m’applaudissent ; qu’il y ait au moins quelqu’un pour m’écouter le n’aime pas qu’on loue des lèvres et qu’on méprise dans le cœur. Car en me louant sans te corriger tu déposes contre toi. Si donc tu es pêcheur et que mon enseignement te plaise, déplais-toi à toi-même ; en te déplaisant ainsi, tu te corrigeras et tu seras heureux, comme je l’ai dit, si je ne me trompe, il y a trois jours. Mes paroles sont comme un miroir que je présente à tous ; et ce ne sont pas mes paroles ; je ne fais en parlant qu’obéir au Seigneur, sa crainte ne me permet point de me taire. Eh ! qui ne préférerait se tare sans rendre compte de vous ? Mais c’est un fardeau que nous avons pris sur nos épaules, nous ne pouvons ni ne devons le rejeter. Lorsqu’on lisait l’Épître aux Hébreux, vous avez entendu, mes frères, cet avertissement « Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis ; car ils veillent sur vos âmes, et doivent rendre compte de vous ; afin qu’ils le fassent avec joie et non avec tristesse : ce qui ne vous serait pas avantageux[1]. » Quand accomplissons-nous ce devoir avec joie ? Lorsque nous voyons qu’on, profité de la parole de Dieu. Quand travaille-t-on avec joie dans un champ ? Lorsqu’en regardant les arbres on y voit du fruit ; lorsqu’en jetant les yeux sur la plaine on y distingue de riches moissons : ce n’est pas en vain qu’on a travaillé, ce n’est pas en vain qu’on s’est courbé, ce n’est pas en vain qu’on s’est fatigué les mains, ce n’est pas en vain qu’on a supporté le froid et la chaleur. Voilà ce que signifient ces mots : « Afin qu’ils le fassent avec joie et non avec tristesse : ce qui ne vous serait pas avantageux. » Est-il dit : Ce qui ne leur serait point avantageux ? Non ; mais : « Ce qui ne vous serait point avantageux, à vous. » Lorsqu’ils s’attristent de vos maux, cette tristesse leur est avantageuse, elle leur sert, mais elle ne vous sert pas. Nous ne voulons rien d’avantageux pour nous, qui ne le soit pour vous. Ensemble donc, frères, travaillons dans le champ du Seigneur, afin de recueillir ensemble l’heureuse récompense.


SERMON LXXXIII. DU PARDON DES INJURES[2].

ANALYSE – Après avoir rappelé la parabole du serviteur qui était redevable à son maître de dix mille talents, et constaté que nous sommes désignés parce serviteur, puisque, comme lui, nous sommes en même temps débiteurs et créanciers, saint Augustin demande s’il faut prendre à la lettre le nombre de septante-sept fois qui figure dans la parabole. Il prouve d’abord par d’autres passages de l’Écriture qu’il faut pardonner absolument tous les torts. 2 montre ensuite que le sens mystique des nombres septante-sept, dix mille et cent, qui paraissent dans la parabole, peuvent s’entendre à merveille de l’universalité des fautes. Il termine en disant que le pardon ne préjudicie en rien à la correction nécessaire.


1. Le saint Évangile nous avertissait hier de n’être pas indifférents aux péchés de nos frères. « Si ton frère te manque, y est-il dit, reprends-le entre toi et lui seulement. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. Mais s’il te méprise, prends avec toi deux ou trois personnes, afin que sur la parole de deux ou trois témoins tout soit avéré. S’il les méprise aussi, dis-le à l’Église, et s’il méprise l’Église, qu’il te soit « comme un païen et un publicain[3]. » À ce sujet se rapporte encore le passage qu’on a lu aujourd’hui et que nous venons d’entendre. En effet, Notre-Seigneur Jésus ayant ainsi parlé à Pierre, celui-ci poursuivit et demanda, à son Maître combien de fois il devrait pardonner à qui l’aurait offensé. Suffira-t-il de pardonner

  1. Heb. 13, 17
  2. Mat. 18, 21-22
  3. Mat. 13, 16-17