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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/585

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Christ ne disait : « Je suis la voie. » Où veux-tu aller, semble-t-il dire ? « Je suis la voie. » Où veux-tu parvenir ? « Je suis la vérité. » Où veux-tu demeurer ? « Je suis la vie. » Ainsi donc marchons avec sécurité dans cette, voie ; mais craignons les dangers qui l’avoisinent. L’ennemi n’ose nous attaquer lorsque nous y marchons, attendu que nous sommes alors unis au Christ ; mais à côté de la voie il ne cesse de tendre des pièges ; c’est pourquoi nous lisons dans un Psaume : « Près du chemin ils m’ont dressé des embûches[1] ; » et dans un autre livre de l’Écriture : « Souviens-toi que tu marches au milieu des filets[2]. » Ces filets au milieu desquels nous marchons ne sont pas dans le chemin, mais auprès. Que crains-tu donc, que redoutes-tu si tu es dans la voie ? Mais tremble, si tu la quittes. S’il est permis à l’ennemi de l’environner de pièges, c’est pour modérer la sécurité d’une joie trop vive qui te porterait à la déserter et à tomber dans le précipice.

2. Mais quelle humilité dans cette voie ! Quelle humilité dans le Christ qui est en même temps la vérité et la vie, le Très-Haut et Dieu même ! Si tu marches dans l’humilité du Christ, tu parviendras jusqu’à sa grandeur ; si ta faiblesse ne dédaigne pas ses humiliations, devenu fort tu demeureras au sein de sa gloire. Eh ! pourquoi s’est-il abaissé, sinon pour te guérir ? Tu étais effectivement sous le poids d’une maladie irrémédiable et c’est pour t’en délivrer qu’est venu jusqu’à toi ce céleste médecin. Ton mal aurait pu sembler tolérable s’il t’eût permis d’aller jusqu’à lui ; mais comme il t’en rendait incapable, c’est Lui qui est venu jusqu’à toi.

Or il est venu nous enseigner l’humilité nécessaire à notre guérison ; car l’orgueil nous empêchait de recouvrer la vie comme déjà il nous l’avait fait perdre. En effet le cœur de l’homme s’est élevé contre Dieu, et foulant aux pieds les préceptes salutaires qu’il avait reçus dans l’état de santé, l’âme est tombée malade. Que la maladie lui apprenne donc à écouter Celui qu’elle a dédaigné dans sa vigueur. Qu’elle l’écoute pour se relever, puisqu’elle est tombée en ne l’écoutant pas. Que son expérience lui persuade enfin ce qu’elle a refusé de croire à la voix du commandement. Sa misère, hélas ! ne lui a-t-elle pas appris combien il est malheureux de se prostituer loin du Seigneur ? N’est-ce pas se prostituer en effet que de se détacher du Bien suprême et unique pour se jeter éperdument au milieu des voluptés, dans l’amour du siècle et la corruption de la terre ? Aussi bien, lorsque le Seigneur rappelle à lui cette âme égarée, il la considère comme souillée de prostitutions ; on lit très souvent dans les prophètes les reproches qu’il lui adresse à ce titre. Toutefois il ne veut pas qu’elle désespère ; car tout en la reprenant de ses désordres, il tient en main de quoi l’en purifier.

3. Son but en effet n’est pas alors de l’irriter, il veut seulement la couvrir d’une confusion qui soit salutaire. Voyez dans l’Écriture quelle vivacité d’objurgations ! Certes, elle ne flatte pas les coupables, mais elle veut les réhabiliter et les guérir. « Adultères, s’écrie-t-elle, ignorez-vous que l’ami de ce monde se fait l’ennemi de Dieu[3] ? » L’amour du monde rend l’âme adultère, comme l’amour de l’auteur du monde la rend chaste ; mais si elle ne rougit de son ignominie, elle n’a même pas le désir de retourner à ces chastes embrassements. Que la confusion la prépare donc au retour, autant que l’en détournait son orgueil, car c’est bien l’orgueil qui l’en détournait. Aussi, loin d’être coupables, les reproches qui lui sont adressés lui montrent combien elle l’est, on lui met devant les yeux ce qu’elle rejetait derrière le dos. Ah ! considère-toi en toi-même. « Tu vois une paille dans l’œil de ton frère, et dans le tien tu ne vois pas une poutre[4] ! » Les reproches donc rappellent l’âme en elle-même, car elle en était sortie, et autant elle se quittait, autant elle quittait Dieu même.

Cette âme en effet s’était regardée, s’était plu, et enflammée d’amour pour son indépendance, elle s’est éloignée de Dieu, mais sans rester en elle-même ; car elle en est repoussée, bannie et se jette à l’extérieur, aimant le monde, aimant les choses temporelles, aimant les choses terrestres : et pourtant si elle se contentait de s’aimer elle-même au mépris de son Créateur, elle s’amoindrirait déjà, elle s’épuiserait par cet amour si rabaissé. N’est-elle pas inférieure en effet et d’autant plus inférieure à Dieu que l’œuvre est au-dessous de l’ouvrier ? Elle devait donc aimer Dieu et nous devons l’aimer jusqu’à nous oublier nous-mêmes, s’il est possible. Comment alors se doit faire la conversion ? L’âme s’était perdue de vue, mais pour aimer le monde ; qu’elle se perde de vue encore, mais pour aimer

  1. Psa. 139, 6
  2. Sir. 9, 20
  3. Jac. 4, 4
  4. Mat. 7, 3