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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/587

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quand enfin tu ne méritais aucune affection, car c’est pour t’en rendre digne qu’il t’en a été accordé. « Le Christ, dit donc l’Apôtre, est mort pour les impies[1]. » Quel amour méritait l’impie ? Ou plutôt que méritait-il ? — D’être damné réponds-tu. – « Le Christ » cependant « est mort pour des impies. » Voile ce qu’il a fait pour toi dans ton impiété, que ne te réserve-t-il donc pas, si tu deviens pieux ? Qu’as-tu reçu dans ton impiété ? « Le Christ est mort pour des impies. » Mais tu aspirais à tout avoir ; eh bien ! n’y travaille point par avarice, travailles-y par piété, travailles-y par humilité. Ainsi tu parviendras à posséder Celui qui a fait tout, et tu posséderas tout en le possédant.
6. Ce n’est pas sur le raisonnement que nous appuyons cette doctrine ; écoute l’Apôtre dire lui-même : « S’il n’a pas épargné son propre Fils, s’il l’a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné tout avec lui[2] ? » C’est ainsi, ô avare, que tu es maître (le tout. Afin donc de n’être pas éloigné du Christ, méprise tout ce que tu aimes et attache-toi à Celui dont la puissance t’assure la jouissance de tout. Aussi qu’a fait ce Médecin généreux ? Pour exciter le courage de son malade et sans avoir besoin pour lui-même d’un semblable remède, il a bu la coupe qui ne devait lui faire aucun bien ; il l’a bue le premier, comme pour vaincre nos résistances et dissiper nos frayeurs, « C’est, dit-il, le calice que je dois boire[3]. » Ce breuvage n’a rien à guérir en moi, je le prendrai pourtant, afin de t’animer à le prendre, car tu en as besoin. Je vous le demande, mes frères, l’humanité devait-elle être malade encore quand on lui a donné un tel remède ? Dieu est humble, et l’homme encore orgueilleux ! Ah ! qu’il écoute, qu’il entende enfin. « Tout, dit le Sauveur, m’a été donné par mon Père. » Si tu veux avoir tout, en moi tu le trouveras. Veux-tu le Père ? Tu l’auras par moi et en moi. Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils. » Point de découragement, viens au Fils, car il ajoute : « Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. » Tu lui disais : Je ne pourrai donc y parvenir ; vous m’invitez à passer par un chemin trop étroit, je ne saurais entrer par là. « Venez à moi, répond-il, vous tous qui avez de la peine et qui êtes chargés ; » chargés du poids de votre orgueil ; « Venez à moi, vous tous qui avez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi. »
7. Ainsi crie le Maître des Anges, le Verbe de Dieu, qui nourrit sans s’épuiser toutes les intelligences, et que l’on mange sans le consumer ; il crie donc : « Apprenez de moi. » Peuple, écoute-le quand il dit : « Apprenez de moi ; » réponds : Que devons-nous apprendre de vous ? Que ne va pas nous enseigner effectivement ce grand Maître quand il crie : « Apprenez de moi ! » Quel est en effet Celui qui dit : « Apprenez de moi ? » C’est Celui qui a formé la terre, qui a séparé la mer et l’aride, qui a créé les oiseaux, qui a créé les animaux terrestres et tous les poissons, qui a placé les astres dans le ciel, qui a distingué le jour de fa nuit, qui a affermi le firmament même et séparé la lumière des ténèbres ; c’est Celui-là qui dit : « Apprenez de moi. » Eh ! veut-il que nous formions ces merveilles avec lui ? Qui de nous le pourrait ? Dieu seul en est capable. Ne crains pas, dit-il, je ne demande rien qui soit au-dessus de tes forces. Apprends seulement de moi ce que je suis devenu pour toi.« Apprenez de moi », non pas à créer, puisque c’est moi qui ai créé ; ni même à faire ce qu’il m’a plu d’accorder à quelques-uns seulement le pouvoir de faire, comme de ressusciter les morts, d’éclairer les aveugles et d’ouvrir l’oreille aux sourds ; ceci n’est pas pour vous fort important à savoir et je ne demande pas que vous cherchiez à l’apprendre de moi. – Les disciples en effet étant revenus un jour plein de joie et d’allégresse, et s’étant écriés : « Voilà qu’en votre nom des démons même nous sont soumis ; » le Seigneur répliqua : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous sont soumis ; réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits dans le ciel[4]. » Dieu donc a donné à qui il a voulu le pouvoir de chasser les démons, et le pouvoir de ressusciter les morts à qui il a voulu. Même avant l’incarnation on voyait ces sortes de miracles ; des morts étaient alors ressuscités et des lépreux guéris, l’histoire en fait foi[5]. Or quel autre opérait ces prodiges, sinon ce même Christ qui s’est incarné après David et qui était Dieu avant Abraham ? C’est lui qui donnait alors ce pouvoir, qui faisait ces miracles par le moyen des hommes ; mais à tous il n’accordait pas cette puissance. Ceux qui ne l’ont pas reçue doivent-ils se décourager et dire qu’ils lui sont étrangers puisqu’ils n’ont pas mérité de lui cette faveur ? Il y a dans un même corps

  1. Rom. 5, 6
  2. Rom. 8, 33
  3. Mt. 20, 22
  4. Lc. 10, 17, 20
  5. 4 Rois 4, 5