Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/107

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dans la justice et de vous comparer aux pécheurs ; semblables à ce Pharisien qui faisait son propre éloge[1], et qui n’avait pas entendu l’Apôtre nous dire : « Ce n’est pas que j’aie encore atteint le but ou que je sois déjà parfait ». Saint Paul, par conséquent, n’était point arrivé encore au terme de ses désirs. Il avait bien reçu un gage : « Il nous a donné, disait-il, son Esprit pour gage[2] ». Mais il aspirait à posséder ce que lui promettait ce gage. Ce gage sans doute était déjà une participation à ce bonheur : quelle différence, toutefois ! Nous en jouirons alors bien autrement qu’aujourd’hui. Nous en jouissons aujourd’hui, grâce à cet Esprit divin, par la foi et par l’espérance ; mais nous aurons alors la vue même et la réalité ; et ce sera toujours le même Esprit, le même Dieu, la même plénitude. Maintenant il nous crie de loin comme à des absents, il se montrera alors tout près de nous ; il nous appelle aujourd’hui dans l’exil, il nous nourrira et nous rassasiera alors dans la patrie.

11. Comment, le Christ s’est fait notre voie, et nous désespérons d’arriver ? C’est une voie qui ne peut avoir de terme, qui ne saurait être coupée, que ne peuvent défoncer ni les pluies ni les inondations, dont les brigands enfin ne peuvent se rendre maîtres. Marche avec confiance dans cette voie sacrée, marche, sans te heurter, sans tomber, sans regarder derrière, sans t’arrêter, sans t’égarer. Évite tous ces écueils, et tu parviens au terme. Mais une fois parvenu, glorifie-toi de ce bonheur, et non de toi. Se louer soi-même, ce n’est pas louer Dieu, c’est s’éloigner de lui. Mais hélas ! s’éloigner du feu, c’est lui laisser sa chaleur et se refroidir ; s’éloigner de la lumière, c’est lui laisser son éclat et se plonger dans les ténèbres. Ah ! ne nous éloignons ni de la chaleur de l’Esprit-Saint ni de la lumière de la Vérité. Nous ne faisons maintenant qu’entendre sa voix ; nous la verrons alors face à face. Que nul donc ne soit content de soi, que nul n’outrage personne. Cherchons tous à avancer, mais sans porter envie à ceux qui avancent et sans mépriser ceux qui reculent, et nous jouirons avec bonheur de l’accomplissement de cette promesse évangélique : « Je les ressusciterai au dernier jour ».


SERMON CLXXI.
SE RÉJOUIR DANS LE SEIGNEUR[3].

ANALYSE. – Trois motifs principaux doivent nous porter à mettre notre joie dans le Seigneur, au lieu de la mettre dans le monde. I. Si nous vivons au milieu du monde, nous vivons mieux encore au sein de Dieu. Il. Si le monde est notre prochain, Jésus se l’est fait davantage en se chargeant de nos maux pour nous communiquer ses biens. III. Rien n’est plus dangereux que les caresses du monde ; au lieu qu’en Dieu tout nous est salutaire, spécialement les châtiments qu’il nous inflige.

1. L’Apôtre nous commande de nous réjouir, mais de nous réjouir dans le Seigneur et non pas dans le siècle. « En voulant être l’ami de ce siècle ; est-il dit dans l’Écriture, on sera considéré comme ennemi de Dieu[4] ». Et de même qu’on ne saurait servir deux maîtres[5], ainsi ne peut-on mettre sa joie dans le siècle et dans le Seigneur en même temps. Ces deux joies sont trop différentes, elles sont même absolument contraires ; et quand on met sa joie dans le siècle, on ne la met pas dans le Seigneur, comme on ne la met pas dans le siècle, quand on la place en Dieu. Que la joie sainte triomphe donc de la joie profane jusqu’à l’anéantir ; que la première croisse toujours, et que toujours décroisse la seconde jusqu’à extermination totale. Ce n’est pas que nous devions ne goûter

  1. Luc. 18, 11
  2. 2Co. 5, 5
  3. Phi. 4, 4-6
  4. Jac. 4, 4
  5. Mat. 6, 24