Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/141

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fait de serment il ne faut pas prendre modèle sur le Seigneur notre Dieu ; car dès qu’il est Dieu ne saurait se parjurer, et à lui seul par conséquent il est permis de jurer. Quand les hommes font-ils de faux serments ? Quand ils se trompent ou sont trompés. En effet, ou on croit vrai ce qui est faux, et on jure témérairement ; ou bien on voit, on soupçonne au moins la fausseté d’une chose et on l’affirme avec serment comme étant vraie ; le serment est alors un crime. Entre ces deux faux serments il y a donc une différence. Voyons d’abord l’homme qui croit vrai ce qu’il affirme ; il le croit vrai, mais la chose est fausse. Cet homme ne fait pas un parjure volontaire ; il est trompé en prenant pour vrai ce qui est faux, il ne fait pas volontairement un serment faux. Voyons ensuite celui qui connaît la fausseté et qui la soutient comme une vérité ; oui, il affirme avec serment ce qu’il sait être faux. N’est-ce pas un monstre exécrable qu’il faut bannir de la société humaine ? Qui aime une telle conduite ? Qui ne l’abhorre ? On peut faire une troisième supposition. Un homme croit une chose fausse et il l’affirme comme vraie, mais il se trouve que réellement elle est vraie. Ainsi, par exemple et pour plus de clarté, tu lui demandes : A-t-il plu en cet endroit ? Il croit qu’il n’y a pas plu, mais il a intérêt à dire qu’il y a plu ; et quoiqu’il pense le contraire, quand on lui demande. Y a-t-il plu réellement ? Oui, répond-il, et il jure. Il est vrai qu’il y a plu, mais il l’ignore, il croit même le contraire ; il est donc parjure ; tant l’intention influe sur le caractère de la parole ! La langue n’est pas coupable si l’âme ne l’est d’abord. Quel est, hélas ! celui qui ne se trompe, tout en cherchant à ne tromper pas ? Quel est l’homme inaccessible toujours à l’erreur ? Et pourtant on ne cesse de jurer, les serments se multiplient, ils sont souvent en plus grand nombre que les simples paroles. Ah ! si on examinait combien de fois on jure dans un jour, combien de fois on se blesse, combien de fois on se frappe et on se perce du dard de sa langue, quelle partie de soi-même trouverait-on exempte de meurtrissures ? Ainsi donc, parce que le parjure est un crime énorme, l’Écriture t’a indiqué le plus court chemin pour y échapper ; c’est de ne jurer pas.

3. Que te dirai-je encore, mon ami ? De jurer selon la vérité ? Sans doute, sans doute, en jurant selon la vérité, tu ne pèches pas, non. Mais tu es homme, tu vis au milieu des tentations, enveloppé dans la chair ; tu es poussière foulant la poussière, pendant que ce corps qui se corrompt appesantit l’âme, pendant que cette maison de boue abat l’esprit rempli de tant de soucis[1]. Or, au milieu de tant de pensées incertaines et frivoles, de vaines conjectures et d’humaines perfidies, comment n’être pas séduit par ce qui est faux dans la région même de la fausseté ? Veux-tu donc t’éloigner du parjure ? Garde-toi de jurer. On peut en jurant jurer quelquefois selon la vérité ; mais il est impossible en ne jurant pas d’affirmer le mensonge avec serment. C’est à Dieu de jurer ; car il jure sans danger, car rien ne le trompe et il n’ignore rien, et étant incapable d’être trompé, il ne sait non plus tromper personne. Quand il jure, c’est lui-même qu’il prend pour témoin. De même qu’en jurant tu invoques son témoignage, ainsi quand il jure, lui-même en appelle à lui-même. Mais toi, en le prenant à témoin, pour attester peut-être un mensonge, tu fais intervenir en vain le nom du Seigneur ton Dieu[2]. Afin donc de ne te point parjurer, ne jure pas. Le parjure est un précipice dont le jurement est comme le bord ; d’où il suit qu’en jurant on en approche et qu’on s’en éloigne en ne jurant pas. On pèche et on pèche gravement en jurant faux ; on ne pèche pas en jurant vrai, mais on ne pèche pas non plus en ne jurant pas du tout. Toutefois en ne péchant pas pour ne pas jurer, on reste éloigné du péché ; tandis qu’on s’en approche en ne péchant pas pour jurer vrai. Suppose que tu marches en un endroit où tu as, à droite, une plaine immense et sans écueil, et à gauche un abîme. De quel côté préfères-tu te porter ? Est-ce sur le bord ou loin de l’abîme ? Tu t’en éloigneras sans doute. C’est ainsi qu’en jurant on marche sur le bord du précipice, et l’on est d’autant plus exposé à y tomber qu’étant homme on n’a pas le pied ferme. Heurte-toi ou viens à glisser, tu tombes dans cet abîme. Et pour y rencontrer quoi ? Le châtiment dû aux parjures. Tu voulais ne jurer que selon la vérité, écoute plutôt le conseil de Dieu, et ne jure pas.

4. Pourtant, si le serment était un péché,

  1. Sag. 9, 15
  2. Exo. 20, 7