Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/157

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n’est pas lui. Ne vois-je pas les entrailles mêmes de l’Église notre mère rendre témoignage à la vérité ? Les mères ne courent-elles pas, leurs petits enfants dans les bras, les offrir au Sauveur pour qu’il les sauve, et non à Pélage pour qu’il les perde ? Qu’on le baptise et qu’il soit sauvé, s’écrie toute mère pieuse en apportant à la hâte son cher petit. – Qu’il soit sauvé ? réplique Pélage : il n’y a rien à sauver en lui, il n’y a en lui aucun vice, il n’a rien puisé de condamnable en puisant la vie. – S’il est vraiment égal au Christ, pourquoi recourir au Christ ? Écoute-moi donc : L’Époux, le Fils de Dieu incarné est le Sauveur des grands et des petits, des hommes mûrs et des enfants ; voilà quel est le Christ. Tu prétends au contraire qu’il est le Sauveur des grands seulement et non pas des petits ; tel n’est pas le Christ. Or, si ce n’est pas lui, il est évident que tu nies son incarnation.

13. Nous constaterions, en étudiant chaque hérésie, que toutes sont contraires à l’Incarnation ; oui, tous les hérétiques nient l’Incarnation du Christ. Pourquoi vous étonner que les païens la nient, que les Juifs la nient, que les Manichéens la nient ouvertement ? J’ose même dire à votre charité que tous les mauvais catholiques, tout en la confessant de bouche, la nient par leurs œuvres. De grâce donc, ne comptez pas sur la foi seule. Joignez à la vraie foi une vie sainte ; confessez l’Incarnation du Christ par la justice de vos Couvres aussi bien que par la vérité de vos paroles. La confession de bouche accompagnée de la négation des œuvres est une foi de mauvais catholiques qui ressemble beaucoup à la toi des démons. Écoutez-moi, mes bien-aimés, écoutez-moi, de peur que ma sueur ne dépose contre vous : Ah ! écoutez-moi. L’apôtre saint Jacques parlait de la foi et des bonnes œuvres pour condamner des esprits qui croyaient la foi suffisante, sans vouloir y joindre la pratique des vertus. Or, il s’exprimait ainsi : « Tu crois qu’il n’y a qu’un Dieu ; les démons le croient aussi, et ils tremblent[1] ». De ce que les démons croient et tremblent, faut-il conclure qu’ils seront tirés du feu éternel ? Vous venez d’entendre dans l’Évangile cette réponse de Pierre : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Lisez encore, et vous verrez que les démons ont dit aussi : « Nous savons que vous êtes le Fils de Dieu ». Pierre cependant est applaudi, et le démon repoussé. Les paroles sont les mêmes, mais les œuvres sont diverses. D’où vient la différence de ces deux confessions ? De ce que l’une est inspirée par un amour louable et l’autre par une crainte condamnable. Car ce n’est pas l’amour qui faisait dire aux démons : « Vous êtes le Fils de Dieu » ; c’est la peur et non l’amour. Aussi s’écriaient-ils, tout en le proclamant : « Qu’y a-t-il entre nous et vous[2] ? » tandis que Pierre lui répétait : « Je vous accompagne même à la mort[3] ».

14. Cependant, mes frères, comment Pierre lui-même pouvait-il lui dire avec amour « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ? » D’où lui venait cet amour ? Uniquement de lui-même ? Nullement. Le même passage de l’Évangile nous fait connaître et ce qui en lui venait de Dieu et ce qui venait de son propre fonds. Tout y est ; lis, tu n’as pas besoin de mes explications. Je rappelle le texte sacré. « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant », dit Pierre. « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas », reprend le Seigneur. Pourquoi ? Est-ce de toi que te vient ce bonheur ? Nullement. « C’est parce que ni la chair ni le sang ne t’ont révélé cela » ; car tu es chair et sang ; « mais mon Père qui est dans les cieux ». Et le Sauveur ajoute beaucoup d’autres choses qu’il serait trop long de rapporter. Un peu après cependant, après ces éloges donnés à la foi de Pierre qu’il a montrée comme une pierre mystérieuse, le Seigneur commença à apprendre à ses disciples qu’il lui fallait aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup, y être réprouvé par les anciens, par les scribes, par les prêtres, être mis à mort et ressusciter le troisième jour. Inspiré alors par lui-même, Pierre trembla, l’idée de la mort du Christ lui fit horreur ; pauvre malade qui reculait devant le remède : « Non, non, Seigneur, s’écria-t-il, ayez pitié de vous-même et que cela ne vous arrive point ». Oublies-tu donc : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre[4] ? » Oublies-tu cela, Pierre ? Oublies-tu encore : « Nul n’a un amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis[5] ? » Tu n’y penses pas. Cet oubli venait de lui-même ; sa peur, l’horreur qu’il éprouvait, la frayeur de la mort, tout cela venait de Pierre ou plutôt

  1. Jac. 2, 19
  2. Mrc. 1, 24,25
  3. Luc. 22, 33
  4. Jn. 10, 18
  5. Id. 15, 10