Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/19

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c’est agir à l’intérieur. Le passage de l’épître du saint Apôtre, dont on vient de nous demander l’explication, est fort difficile, fort obscur, dangereux même si on ne le comprend pas ou si on le comprend mal : c’est ce que vous avez remarqué, mes frères, je n’en doute pas, j’en suis certain, lorsqu’on nous en faisait lecture. Aussi j’ai vu inquiets ceux d’entre vous qui ont remarqué simplement ces difficultés ; quant à ceux, s’il en est, qui ont compris toute la pensée de l’Apôtre, ils voient sûrement combien il est malaisé de la saisir. C’est pourtant ce passage, avec toutes ses obscurités et tous ses embarras, que nous entreprenons de discuter, avec l’aide de la miséricorde divine, parce qu’il renferme un sens qu’il est fort salutaire de pénétrer. Nous avons, je le sais, des dettes envers votre charité, et je sens que vous voulez être payés. Eh bien ! puisque nous demandons pour vous la grâce de bien comprendre, implorez pour nous celle de bien expliquer ; car si nos vœux s’unissent, Dieu vous accordera d’entendre comme il convient ; et à nous d’expliquer comme nous le devons.

2. « Lorsque nous étions dans la chair, dit donc l’Apôtre, les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire produire des fruits pour la mort ». N’est-ce pas blâmer et accuser la loi de Dieu ? et si l’on ne saisit pas la pensée de l’Apôtre, ce sens qui se présente d’abord n’est-il pas un danger formidable ? – Quel chrétien, dira-t-on, aurait jamais cette idée ? Ne faudrait-il pas plus que de la folie pour concevoir sur l’Apôtre un pareil soupçon ? – Et pourtant, mes frères, ces paroles mal comprises ont servi à exercer le délire et la folie des Manichéens. Car les Manichéens soutiennent que la loi mosaïque ne vient pas de Dieu, et ils prétendent qu’elle est contraire à l’Évangile. Se met-on à discuter avec eux ? Ils s’emparent, sans les comprendre, de ces paroles de l’Apôtre saint Paul, et cherchent à gagner par là des catholiques, plus négligents peut-être encore qu’inintelligents. Est-il donc bien difficile, quand on a entendu les accusations de ces hérétiques, de lire au moins le contexte dans l’épître même ? Il ne faudrait qu’un peu de zèle et bientôt on serait en mesure d’arrêter le babil de ces adversaires, d’abattre ces ennemis qui s’insurgent contre la loi. Eût-on de la peine à pénétrer la pensée de l’Apôtre ; on verrait sûrement en lui l’éloge formel de la loi divine.

3. Commencez par le reconnaître vous-mêmes. « Lorsque nous étions dans la chair, dit-il, les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres ». Ici déjà se dresse le manichéen, il lève fièrement la tête et s’élance impétueusement contre toi : Voilà, dit-il, « les passions du péché qui sont occasionnées par la loi ». Comment peut être bonne cette loi qui occasionne en nous les passions du péché, ces passions qui agissent dans nos membres afin de porter des fruits pour la mort ? Lis donc, lis un peu plus loin, lis le passage entier, sinon avec intelligence du moins avec patience. Tu aurais peine sans doute à comprendre ces mots : « Les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres » ; mais commence parfaire avec moi l’éloge de la loi, tu mériteras ainsi de comprendre. Quoi ! tu tiens ton cœur fermé et tu t’en prends à ta clef ? Eh bien ! mettons de côté, pour le moment, ce que nous ne saisissons pas, et lisons premièrement l’éloge formel de la loi. « Les passions des péchés qui sont occasionnées parla loi, dit l’Apôtre, agissaient dans nos membres afin de leur faire porter des fruits pour la mort. Mais maintenant nous sommes affranchis de la loi de mort où nous étions retenus, pour servir dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre ». Ici encore l’Apôtre semble blâmer, accuser, condamner, repousser la loi, même avec horreur ; mais c’est qu’on ne le comprend pas. Oui, ces paroles : « Lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire porter des fruits pour la mort ; mais nous sommes affranchis de la loi de mort où nous étions retenus, pour servir, dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre », paraissent une accusation et une condamnation de la loi. L’Apôtre s’en est aperçu lui-même, il a senti qu’il n’était pas compris et que l’obscurité de son langage jetait la confusion dans l’esprit du lecteur et l’éloignait de sa pensée ; il a vu ce que tu pourrais répliquer, ce que tu pourrais objecter, et pour t’empêcher de le dire, il l’a dit d’abord.