Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/202

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Livrons-nous avec bonté et avec ferveur à ces deux espèces d’aumônes, qui consistent à distribuer et à pardonner ; puisque nous demandons à Dieu de nous faire du bien et de ne pas nous faire le mal que nous méritons. « Donnez, dit-il, et on vous donnera ». Est-il rien de plus convenable, rien de plus juste que de se priver soi-même, en ne recevant pas, lorsqu’on refuse de donner à autrui ? De quel front un laboureur demanderait-il des moissons aux terres qu’il sait n’avoir pas ensemencées ? De quel front aussi tendrait-on la main au Dieu des richesses, quand on a fermé l’oreille à la prière du pauvre ? Sans avoir jamais faim, Dieu ne veut-il pas qu’on le nourrisse dans la personne de l’indigent ? Ah ! ne dédaignons point dans le pauvre les besoins de notre Dieu, afin que nos besoins soient un jour satisfaits par ce riche. Si nous rencontrons des indigents, nous sommes indigents nous-mêmes donnons donc pour recevoir. Eh ! de quelle valeur est ce que nous donnons ? Pour si peu néanmoins, pour ces biens visibles, passagers et terrestres, qu’ambitionnons-nous ? « Ce que « l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce qui ne s’est point élevé dans le cœur de l’homme[1] ». Sans les divines promesses, n’y aurait-il pas impudeur à donner si peu pour recevoir autant ? Que penser donc de qui refuse même de donner si peu, quand nous ne tenons ce peu que de la générosité de Celui qui nous excite à le donner ? Et comment oser espérer encore les deux sortes de biens, quand on en dédaigne l’Auteur en ne se soumettant point à l’usage auquel il ordonne de consacrer les moindres ? « Remettez, et on vous remettra » : c’est-à-dire, pardonnez et on vous pardonnera ; que le serviteur se réconcilie avec son compagnon, pour n’être pas châtié par son Maître. Pour faire cette espèce d’aumône, nul n’est pauvre ; et on peut la faire, pour obtenir de vivre éternellement, lors même qu’on n’aurait pas de quoi vivre un moment. Ici on donne avec rien et on s’enrichit en donnant, puisqu’on ne s’appauvrit qu’en ne donnant pas. Si donc il est des inimitiés qui durent encore, qu’on les éteigne, qu’on y mette fin. Qu’on les tue, pour qu’elles ne tuent pas ; qu’on les relâche, pour qu’elles n’enchaînent pas ; qu’elles soient mises à mort par le Rédempteur, pour qu’elles ne mettent pas à mort l’âme qui les ferait vivre.

3. Que votre jeûne ne ressemble pas à celui que condamne un prophète quand il dit : « Tel n’est pas le jeûne que je demande, s’écrie le Seigneur[2] ». Il ne veut pas du jeûne des querelleurs, mais de celui des hommes doux. Il condamne les oppresseurs ; il veut qu’on ait le cœur large. Il condamne les semeurs d’inimitiés ; il aime ceux qui affranchissent les esclaves. Aussi bien le motif pour lequel durant ces jours de salut vous détournez vos désirs de ce qui est même permis, c’est pour ne pas vous laisser aller à ce qui ne l’est pas. Que jamais donc ne se gorge de vin ni d’impureté, celui qui maintenant s’abstient du mariage. Appuyée ainsi sur l’humilité et la charité, sur le jeûne et sur l’aumône, sur l’abstinence et le pardon, sur le soin de faire le bien sans rendre le mal, d’éviter le mal et de faire du bien, notre prière cherche la paix et y parvient[3] ; son vol est soutenu sur les ailes de ces vertus, et il la porte plus facilement au ciel, où nous a précédés Jésus-Christ notre paix.

  1. 1Co. 2, 9.
  2. Isa. 58, 5.
  3. Psa. 33, 15.