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SERMON CCX. POUR LE CARÊME. VI. DU TEMPS CHOISI POUR LE CARÊME.

ANALYSE. – Deux parties dans ce discours, une partie dogmatique et une partie morale. I. Pourquoi le Carême est-il fixé aux approches de la Passion du Sauveur, et pourquoi doit-il durer quarante, jours ? À la première de ces deux questions, saint Augustin répond de la manière suivante : Il est vrai, Notre-Seigneur ayant jeûné après son baptême, il semblerait d’abord que le baptême se conférant dans l’Église à la fête de Pâques, le jeûne du Carême devrait suivre et non précéder cette fête. Mais premièrement, le baptême s’administre aussi indistinctement tous les autres jours de l’année. Secondement, le baptême de saint Jean reçu par Notre-Seigneur, était loin de conférer les grâces que nous confère son propre baptême, et il n’y a aucune parité à établir entre l’un et l’autre. D’où il suit que si Notre-Seigneur a jeûné après le baptême de saint Jean, ce n’est pas pour nous d raison de jeûner après le sien. Ce qui explique mieux pourquoi le Carême est fixé aux approches de la Passion, c’est qu’il est dit dans l’Écriture que Jésus-Christ jeûna quand il devait être tenté par le démon. Or, est-il rien qui nous rappelle mieux tentations et les épreuves de cette vie que la Passion du Sauveur ? Si donc nous jeûnons aux approches de la Passion, c’est que toujours nous devons jeûner et nous mortifier pour résister à la tentation. – À la seconde question : Pourquoi le jeûne Carême dure-t-il quarante jours, tandis que les joies du temps pascal en durent cinquante ? Le saint Docteur répond que les quarante jours du Carême désignent toute la vie présente, vie de labeurs et de gémissements, comme les cinquante jours du temps pascal désignent le bonheur de l’éternité. – II. Dans la partie morale se représentent les idées sur la prière, le jeûne, l’abstinence, la continence, l’aumône et le pardon des injures, que nous avons vues dans les discours précédents.

1. Voici l’époque solennelle qui nous avertit de nous appliquer à la prière et au jeûne plus qu’en tout autre temps de l’année, en humiliant nos âmes et en châtiant nos corps. Mais pourquoi est-ce aux approches de la solennité de la Passion du Sauveur, et pourquoi durant l’espace mystérieux de quarante jours ? Plusieurs s’adressent souvent ces questions ; c’est pourquoi nous allons vous communiquer sur ce sujet les réflexions que Notre-Seigneur a daigné nous suggérer ; et ce qui nous aidera puissamment à obtenir de pouvoir traiter cette matière, c’est la foi et la piété de ceux d’entre vous que je sais s’en occuper, non pour contredire mais pour s’instruire.

2. Ce qui donne lieu à cette question, c’est qu’après avoir pris un corps et s’être montré aux hommes comme l’un d’entre eux afin de nous apprendre à vivre, à mourir et à ressusciter à son exemple, Jésus-Christ Notre-Seigneur n’a point jeûné avant de recevoir, mais après avoir reçu le baptême. Voici en effet ce qui se lit dans l’Évangile : « Or, ayant été baptisé, Jésus sortit aussitôt de l’eau, et voici que les cieux lui furent ouverts, et il vit l’Esprit de Dieu descendre sur lui ; et voici une voix du ciel disant : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances. Alors Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert, pour y être tenté par le diable, et lorsqu’il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim[1] ». Pour nous, au contraire, nous jeûnons avec ceux qui doivent recevoir le baptême, avant le jour où ils le doivent recevoir, c’est-à-dire jusqu’à la veille de Pâques, après quoi nous cessons de jeûner durant cinquante jours. Cette raison aurait quelque valeur, si l’on ne pouvait conférer ni recevoir le baptême qu’au jour éminemment solennel de Pâques, Mais parla grâce de Celui qui nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu[2], chacun peut toute l’année recevoir ce sacrement, selon qu’on y est déterminé par la nécessité ou par la volonté ; tandis qu’il n’est permis de célébrer l’anniversaire de la Passion du Sauveur qu’une fois l’an, à Pâques. Il faut donc établir entre Pâques et le baptême une différence incontestable ; le baptême pouvant se recevoir chaque jour, et Pâques ne pouvant se célébrer qu’une fois l’année et en un jour déterminé ; le baptême ayant pour but de conférer une vie nouvelle, et Pâques de ranimer le souvenir des mystères de la religion. S’il y a à Pâques un nombre bien plus considérable de catéchumènes à baptiser, ce n’est pas qu’on reçoive alors

  1. Mat. 3, 16-17 ; 4, 2
  2. Jn. 1, 12