Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/344

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tu ne saurais l’être. Or, que te donne-t-il ? Oserais-tu te plaindre, si lui qui a tout créé t’offrait ce qu’il a créé de plus parfait ? Et pourtant ce n’est rien de ce qu’il fait, c’est lui-même qu’il te donne pour que tu jouisses de lui, de lui le Créateur de toutes choses. Eh ! peut-il y avoir dans toutes ses œuvres rien de meilleur et de plus beau que lui ? De plus, pourquoi se donnera-t-il ainsi ? Est-ce pour couronner tes mérites ? Mais si tu cherches ce que tu mérites, considère tes péchés ; écoute cet arrêt divin porté contre l’homme coupable « Tu es terre et tu iras en terre[1] ». C’est d’ailleurs la menace qui avait été faite au moment où Dieu avait imposé la défense : « Le jour où vous y toucherez, avait-il dit, vous mourrez de mort[2] ». Que mérite le péché, dis-moi, sinon le châtiment ? Ah ! oublie donc ce que tu mérites, pour n’avoir pas le cœur glacé de frayeur ; ou plutôt ne l’oublie pas, de peur de repousser la miséricorde par ton orgueil. Ce sont, mes frères, les œuvres de miséricorde qui nous recommandent à Dieu. « Bénissez le Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle[3] ». Confesse que Dieu est miséricordieux et qu’il est disposé à pardonner les fautes à qui s’en accuse. Mais aussi offre-lui un sacrifice ; homme que tu es, prends pitié de l’homme, et Dieu prendra pitié de toi. Toi et ton frère, vous êtes deux hommes, deux malheureux. Quant à notre Dieu, il n’est pas malheureux, mais miséricordieux. Or, si un malheureux n’a point compassion d’un malheureux, comment peut-il implorer la miséricorde de Celui que ne saurait atteindre l’infortune ? Comprenez ma pensée, mes frères. Un homme se montre-t-il dur envers un naufrage, par exemple ? Attendez qu’il ait fait naufrage. S’il a éprouvé ce malheur, la vue d’un naufragé lui rappelle ce qu’il a souffert, il ressent en quelque sorte son malheur d’autrefois ; et la communauté d’infortune le touche de compassion, quand n’a pu le faire la communauté de nature. Comme on plaint vite un esclave, quand on a été esclave ! Comme on est porté à plaindre le mercenaire privé de son salaire, lorsqu’on a été mercenaire soi-même ! Quelle consolation pour un père pleurant amèrement son fils, quand on a eu à déplorer une perte semblable ! C’est ainsi que la communauté d’infortune attendrit le cœur humain le plus insensible. Or, tu as été malheureux ou tu crains de l’être, attendu que durant tout le cours de ta vie, tu dois à la fois redouter ce que tu n’as point enduré, te rappeler ce que tu as souffert, et te représenter ce que tu éprouves. Si donc avec ce souvenir de tes afflictions anciennes, avec cette crainte des maux qui peuvent te frapper, et sous le poids de les douleurs actuelles, tu ne prends point pitié d’un homme tombé dans l’infortune et quia besoin de toi, tu compteras sur la compassion de Celui qui ne saurait atteindre la moindre souffrance ? Tu ne donnes rien de ce que Dieu t’a donné, et tu prétends recevoir de Dieu ce que Dieu n’a point reçu de toi ?

4. Vous irez, mes frères, bientôt dans va domaines, et à partir de ce moment nous nous verrons à peine, si ce n’est pour célébrer quel que solennité ; de grâce, faites des œuvres de miséricorde, parce que les péchés se multiplient. Il n’y a point pour nous d’autre moyen d’être en repos, d’autre chemin pour nous conduire à Dieu, pour nous réintégrer dans ses bonnes grâces, pour nous réconcilier avec lui ; et pourtant, quel effroyable danger nous courons en l’offensant ! Nous devons paraître devant lui ; ah ! que nos bonnes œuvres y défendent notre cause, qu’elles y parlent plus haut que nos péchés. La sentence sera déterminée parce qui l’emportera : sentence vengeresse, si ce sont nos crimes ; sentence heureuse, si ce sont nos bonnes œuvres. Il y a dans l’Église deux sortes de miséricorde ; l’une se fait sans dépense et sans fatigue, l’autre exige du travail ou de l’argent, Celle qui ne demande ni dépense ni fatigue se fait dans le cœur et consiste à pardonner à qui t’a offensé. Oui, dans ton cœur est placé le trésor nécessaire pour faire cette œuvre de miséricorde ; c’est là que tu te mets à nu sous l’œil de Dieu. On ne te dit point : Apporte ta bourse, ouvre ton trésor, lève les scellés de ton grenier. On ne te dit pas non plus : Viens, marche, cours, hâte-toi, intercède, parle, visite, travaille. Sans quitter ta place tu rejettes de ton cœur quelque ressentiment contre ton frère ; c’est un acte de miséricorde accompli sans frais et sans peine ; il ne t’a fallu que de la bonté et une pensée de miséricorde. Nous paraîtrions durs si nous vous disions : Distribuez vos biens aux pauvres. Mais ne sommes-nous pas doux et faciles en vous disant : Accor-

  1. Gen. 3, 19
  2. Id. 2, 17
  3. Psa. 117, 29