Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/41

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à son tour est un grand bien, mais elle n’est pas le bien souverain. Or quand je dis que Dieu est souverainement bon, ne crois pas que je ne l’entende que du Père ; je l’entends du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; car ces trois ne font qu’un, qu’un seul Dieu, et ce Dieu est le Dieu souverainement bon. C’est dans ce sens que Dieu est un, et voilà comment il te faut répondre quand on te questionne sur la Trinité, et sans croire, lorsqu’on te dit que Dieu est un, que le Père soit le Fils et le Saint-Esprit. Il n’en est rien : le Père dans la Trinité n’est pas le Fils, le Fils n’y est pas le Père, et l’Esprit-Saint n’y est non plus ni le Père ni le Fils, mais l’Esprit du Père et du Fils. Oui, il est réellement l’Esprit du Père et du Fils, coéternel au Père et au Fils, consubstantiel, égal à l’un et à l’autre. Voilà toute la Trinité, voilà le Dieu unique et souverainement bon. Quant à l’âme, comme je l’ai dit, elle a été créée par ce Bien souverain, et sans être le souverain bien, elle est un grand bien Pour la chair, elle n’est ni un souverain bien, ni un grand bien, mais un bien d’ordre inférieur. Ainsi l’âme est un grand bien, sans être le bien souverain, et elle vit entre le bien souverain et le bien d’ordre inférieur, en d’autres termes, elle vit entre Dieu et la chair, inférieure à Dieu mais supérieure à la chair. Pourquoi donc conformerait-elle sa vie au bien inférieur et non au bien suprême ? Plus clairement encore : Pourquoi ne vit-elle pas selon Dieu mais selon la chair ? Car elle n’est pas redevable à la chair pour vivre selon la chair. C’est à la chair de vivre selon l’âme et non à l’âme de vivre selon la chair. La chair ne doit-elle pas conformer sa vie au principe de sa vie ? N’est-ce pas un devoir pour la chair et pour l’âme ? Or, qui fait vivre ta chair ? ton âme. Et qui fait vivre ton âme ? ton Dieu. À l’âme donc et à la chair de vivre de ce qui les fait vivre. La chair n’est pas sa propre vie ; l’âme est la vie de la chair. L’âme n’est pas non plus la vie de l’âme ; c’est Dieu. Ainsi donc, obligée de vivre selon Dieu et non pas selon la chair, l’âme dégénère si elle vit selon elle-même ; et en vivant selon la chair elle progresserait ? Mais pour que la chair ait raison de conformer sa vie à celle de l’âme, il faut que l’âme à son tour conforme sa vie à la volonté de Dieu. Qu’arriverait-il effectivement si l’âme voulait vivre, non pas selon la chair, mais selon elle-même, comme je viens de le dire ? Je vais vous l’exposer, car il est bon, il est même très-avantageux que vous le sachiez.

7. Il y eut des philosophes profanes dont les uns ne mettaient le bonheur qu’à vivre selon la chair, et ne voyaient de bien pour l’homme que dans les plaisirs du corps. Du nom d’Epicure, leur fondateur et leur maître, on appela Epicuriens ces philosophes, eux et leurs semblables. Il y en eut d’autres ; remplis d’orgueil, ils s’élevaient en quelque sorte au-dessus de la chair, mettaient dans leur âme tout l’espoir du bonheur, et faisaient consister le souverain bien dans leur propre vertu. Votre piété reconnaît ici une expression des psaumes ; vous savez, vous voyez, vous vous rappelez comment y sont tournés en dérision ceux qui « se confient dans leur propre vertu[1] ». Tels furent donc les philosophes qui portent le nom de Stoïciens. Les premiers vivaient selon la chair, ceux-ci selon l’âme ; ni les uns ni les autres ne vivaient selon Dieu. C’est à Athènes principalement que s’agitaient et que discutaient ces sectes. L’apôtre Paul y vint, comme on le lit au livre des Actes, et je suis heureux de voir que vos connaissances et vos souvenirs vous permettent de prévenir ce que je veux exprimer ; alors donc, est-il écrit, « quelques philosophes Epicuriens et Stoïciens conférèrent avec lui[2] » ; ainsi ceux qui vivaient selon la chair et ceux qui vivaient selon l’âme conféraient avec un homme qui vivait selon Dieu. Mon bonheur, disait l’Epicurien, est de jouir de la chair. Mon bonheur, ajoutait le Stoïcien, est de jouir de mon esprit. « Et le mien, reprenait l’Apôtre, est de m’attacher à Dieu[3] ». Heureux, disait l’Epicurien, celui qui jouit des voluptés de la chair. Heureux plutôt, s’écriait le Stoïcien, celui qui jouit des vertus de son âme. « Heureux, reprenait l’Apôtre, celui qui met son espoir dans le nom du Seigneur ». L’Epicurien est dans l’erreur ; il est faux que l’homme soit heureux en jouissant des voluptés de la chair. Le Stoïcien se trompe aussi ; car il est faux et absolument faux que l’homme soit heureux pour jouir de la vertu de son âme. « Heureux donc est celui qui met son espoir dans le nom du Seigneur ». Et comme ces philosophes sont aussi vains que menteurs, l’auteur sacré ajoute : « Et qui n’

  1. Psa. 48, 7
  2. Act. 17, 18
  3. Psa. 72, 28