Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/50

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Mais si tu oses tenir ce langage, voici devant toi l’Apôtre Jean : « Si nous affirmons », dit-il, « que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous[1] ». Eh quoi ! sommes-nous étrangers à toute justice ? Ou bien sommes-nous un peu justes, sans l’être complètement ? C’est ce qu’il nous faut examiner ; car si nous sommes justes sans l’être complètement, il nous suffira, pour le devenir, d’ajouter à ce que nous sommes déjà. Voici des hommes baptisés, tous leurs péchés sont remis, ils en sont justifiés, nous ne pouvons le nier : il leur reste néanmoins à lutter encore contre la chair, à lutter contre le monde, à lutter contre le démon. Or, quand on lutte, on frappe et on est frappé, on triomphe et on est renversé ; mais il faut voir dans quel état on quittera l’arène. Oui, « si nous affirmons que nous sommes sans péché, nous nous illusionnons nous-mêmes et la vérité n’est point en, nous ». D’un autre côté, si nous nous disons absolument étrangers à la justice, c’est un mensonge qui s’élève contre les dons divins. En effet, être entièrement étranger à la justice, c’est n’avoir même pas la foi ; mais si nous n’avons pas la foi, nous ne sommes pas chrétiens ; si au contraire nous l’avons, nous sommes un peu justes. Veux-tu savoir la valeur immense de ce peu ? Le juste vit de la foi[2] ; – oui le juste vit de la foi », en croyant ce qu’il ne voit pas.

5. Lorsque nos pères, lorsque les chefs du troupeau sacré, lorsque les saints apôtres annonçaient l’Évangile, ils publiaient non-seulement ce qu’ils avaient vu, mais encore ce qu’ils avaient touché de leurs mains ; et pourtant, comme un de ses disciples le touchait de la main, cherchant à s’assurer et s’assurant effectivement de la réalité, comme il s’écriait en le pressant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » ce Seigneur et ce Dieu, qui nous réservait le don de la foi, répondit d’abord : « Tu as cru pour avoir vu » ; puis jetant les yeux sur ce que nous ferions : « Heureux, continua-t-il, ceux qui ont cru sans avoir vu[3] ! » Nous donc qui n’avons pas vu et qui avons cru pour avoir entendu, nous avons été d’avance proclamés bienheureux, et nous serions complètement étrangers à la justice ! Le Seigneur s’est montré avec son corps aux yeux des Juifs, et ils l’ont mis à mort ; il ne s’est pas montré visiblement à nous, et nous l’avons reçu. « Un peuple que je ne connaissais pas m’a servi ; il a prêté à ma voix une oreille docile[4] ». Nous sommes ce peuple, et il n’y aurait en nous aucune trace de justice ! Certes il y en a. Soyons reconnaissants pour ce que nous avons reçu ; ainsi nous obtiendrons encore, sans rien perdre de ce qui nous a été donné. Il résulte que maintenant encore se forme en nous le troisième caractère. Nous sommes justifiés, mais la justice progresse en nous avec nous. Je vais vous exposer ses développements et conférer en quelque sorte avec vous. Chacun de vous, quoique déjà justifié en ce sens qu’il a reçu la rémission de ses péchés dans le bain de la régénération, qu’il a reçu encore l’Esprit-Saint pour avancer de jour en jour, pourra reconnaître où il en est, marcher, progresser et croître jusqu’à ce qu’il arrive, non pas au terme, mais à la perfection.

6. On commence par la foi. En quoi consiste la foi ? A croire. Cette foi néanmoins doit se distinguer de celle des esprits immondes. Elle consiste, avons-nous dit, à croire. « Mais, observe l’apôtre saint Jacques, les démons croient aussi et ils tremblent[5] ». Tu crois et tu vis sans espérance ou sans amour ? mais les démons croient aussi et ils tremblent ». Tu estimes avoir beaucoup fait en proclamant le Christ Fils de Dieu. Il est vrai, Pierre l’a proclamé, et il lui a été dit : « Tu es heureux, Simon, fils de Jona » ; mais les démons l’ont publié aussi, et il leur a été dit : « Taisez-vous ». Pierre parle et on lui dit : « Ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé ceci, mais mon Père, qui est dans les cieux[6] ». Les démons parlent de même, et on leur dit de se taire[7], et on les repousse ! Sans doute la parole est la même ; mais le Sauveur porte son regard sur la racine et non sur la fleur. De là cette recommandation adressée aux Hébreux : « Veillant à ce qu’aucune racine amère, poussant en haut ses rejetons, n’importune et ne souille l’âme d’un grand nombre[8] ». Songe donc avant tout à rendre ta foi différente de celle des démons. Par quel moyen ? Les démons confessaient le Christ avec crainte, Pierre avec amour. Ajoute donc l’espérance à la foi. Mais comment espérer si la conscience n’est en

  1. Jn. 1, 8
  2. Hab. 2, 4 ; Rom. 1, 17
  3. Jn. 20, 28-29
  4. Psa. 17, 45
  5. Jac. 2, 19
  6. Mat. 16, 17
  7. Mrc. 1, 25
  8. Heb. 12, 15