Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/61

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de la langueur de l’âme ? N’est-ce pas le pain qui fait horreur, quand on court au poison ? Et comment, je vous le demande, sortir de cette langueur ? Est-ce par nous-mêmes que nous en sommes capables ? Tous, hélas ! nous avons pu nous blesser, mais qui de nous peut guérir cette blessure volontaire ? Voilà bien l’image de nos péchés : qui n’en commet quand il veut ? Mais chacun ne saurait en fermer la plaie comme il l’entend. Ah ! que nos cœurs deviennent donc pieux, fidèlement chrétiens et sensibles à la grâce. Reconnaissons notre Médecin : jamais le malade ne se guérit lui-même.


SERMON CLXI.
LE PÉCHÉ DE LA CHAIR[1].

ANALYSE. – Ce péché doit nous faire horreur : 1° Parce qu’il fait une injure grave à Jésus-Christ, dont nous sommes les membres, et au Saint-Esprit dont nous sommes les temples ; 2° parce qu’il nous rend dignes de l’éternelle damnation. Comment, hélas ! ne craint-on pas davantage ces supplices effroyables et interminables, quand on fait tant pour échapper aux maux légers et éphémères de la vie présente ? 3° parce que nous devrions agir par amour de Dieu, par le désir de lui plaire et la crainte de lui déplaire : amour heureux qui porte les vierges chrétiennes à renoncer absolument aux plaisirs charnels même permis.

1. Nous venons d’entendre, pendant la lecture, l’Apôtre reprendre et réprimer les passions humaines. « Ne savez-vous pas, disait-il, que vos corps sont les membres du Christ ? Ainsi je prendrai au Christ ses membres pour en faire les membres d’une prostituée ? Dieu m’en garde ». Si l’Apôtre dit que nos corps sont les membres du Christ, c’est qu’en se faisant homme pour nous le Christ est devenu notre Chef, notre Chef dont il est dit qu’« il est lui-même le Sauveur de son corps[2] » ; or, son corps est l’Église[3]. Si Notre-Seigneur Jésus-Christ ne s’était uni qu’à l’âme humaine, nos âmes seules seraient ses membres ; mais comme il s’est de plus uni à un corps, afin de devenir sous tout rapport notre chef, de nous qui sommes composés d’un corps aussi bien que d’une âme, il s’ensuit, à coup sûr, que nos corps aussi sont ses membres. Si donc un chrétien se méprisait et s’avilissait assez pour vouloir s’abandonner à l’impureté, de grâce, qu’il respecte en lui le Christ ; qu’il ne dise pas : Je céderai, car je ne suis rien, « toute chair n’étant que de l’herbe[4] ». Ton corps toutefois n’est-il pas un membre du Christ ? Où allais-tu ? Reviens. Où voulais-tu te précipiter ? Épargne en toi le Christ, reconnais-le en toi. « Je prendrai au Christ ses membres pour en faire les membres d’une prostituée ? » Car il faut qu’elle soit prostituée pour consentir à commettre avec toi l’adultère ; et pourtant c’est peut-être une chrétienne qui prend aussi des membres au Christ pour en faire les membres d’un adultère. Ainsi vous outragez l’un et l’autre le Christ, sans égard ni pour votre Seigneur, ni pour la rançon qu’il a donnée afin de vous racheter. Comment néanmoins qualifier ce Seigneur, qui fait de ses serviteurs ses propres frères ? Ce n’était même pas assez ; il en a fait ses membres. Et un tel honneur n’est rien pour toi ? Est-ce parce qu’il t’a été accordé avec une bonté si touchante que tu n’en tiens aucun cas ? Si tu ne l’avais pas, tu en serais jaloux ; et parce que tu l’as reçu, tu le dédaignes !

2. Non content d’avoir appelé nos corps les membres du Christ, par la raison que le Christ a pris un corps de même nature que le nôtre, l’Apôtre dit encore que ces corps sont pour nous le temple du Saint-Esprit, que nous avons reçu de Dieu. Ainsi le corps du Christ fait que nos corps sont les membres du Christ, et l’Esprit du Christ demeurant en nous fait

  1. 1Co. 6, 9-10.15-19
  2. Eph. 5, 23
  3. Col. 1, 18
  4. Isa. 40, 6.