Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/68

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acheté si cher, au prix même du sang adorable du Christ, et devenu le temple de l’Esprit-Saint : il voulait qu’au lieu de le souiller par ces abominations, on le conservât dans une pureté inviolable comme l’habitation de Dieu même. Pourquoi donc avoir ajouté, pour soulever une question si difficile : « Tout autre péché, commis par l’homme, est hors du corps ; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps ? » N’est-il pas vrai que la fornication et tous les autres péchés de la chair qui ressemblent à la fornication, ne peuvent se commettre et se pratiquer que par le corps ? Pour ne parler pas des autres péchés, qui pourrait, sans le concours des organes corporels, être voleur, ivrogne, médisant ou rapace ? L’idolâtrie même et l’avarice ne sauraient, sans le ministère du corps, produire leurs actes et leurs effets. Pourquoi alors ces paroles : « Tout autre péché commis par l’homme est hors du corps ; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps ? » On peut constater d’abord que toutes les convoitises déréglées auxquelles s’abandonne l’homme d’une manière même purement intérieure, ne sont pas en dehors du corps, puisque sûrement elles sont produites par la sensualité et par la prudence charnelle, tant que l’homme est encore revêtu de son corps. Le crime même signalé dans ces paroles d’un psaume : « L’impie a dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu[1] », le bienheureux Apôtre saint Paul n’a pu le considérer indépendamment du corps, puisqu’il a dit quelque part : « Nous comparaîtrons tous devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive conformément à ce qu’il a fait, soit bien, soit mal, par son corps[2] ». Il fallait en effet que l’impie fût encore dans sa chair pour pouvoir dire : « Il n’y a point de Dieu ». Je ne dirai rien de ce que le même docteur des gentils écrit dans une autre épître, où on lit : « On connaît aisément les œuvres de la chair, qui sont : la fornication, l’impureté, la luxure, les empoisonnements, les inimitiés, les contestations, les jalousies, les colères, les dissensions, les sectes, les envies, les ivrogneries et autres semblables, desquelles je vous déclare, comme je l’ai déclaré, que ceux qui s’y livrent n’obtiendront pas le royaume de Dieu[3] ». Ne semble-t-il pas que, dans cette énumération, îles jalousies, les colères, les dissensions, les envies et les sectes, n’appartiennent pas au corps ? Et cependant elles sont représentées comme des œuvres de la chair par ce même docteur qui a initié les gentils à la foi et à la vérité. Que signifient donc ces mots : « Tout autre péché commis par l’homme est hors du corps ? » et pourquoi ne dire que d’un seul péché : « Mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps ? »

2. Si inculte et si peu ouvert qu’on puisse être, on voit combien est difficile cette question. Si néanmoins, acquiesçant à nos pieux désirs, le Seigneur daigne nous éclairer et nous seconder un peu, il nous sera possible d’y assigner un sens vraisemblable. Ici donc le bienheureux Apôtre, en qui parlait le Christ, semble avoir voulu élever la gravité du péché de fornication au-dessus de la gravité de tous les autres péchés qui se commettent par l’intermédiaire du corps, mais qui néanmoins ne rendent pas l’âme humaine esclave et dépendante du corps, comme elle le devient dans le seul acte de la fornication, où la fougue impétueuse de la passion la confond avec le corps, l’y unit, l’y colle en quelque sorte et l’y enchaîne étroitement, si étroitement, qu’au moment où il se livre frénétiquement à cet acte brutal, il lui est impossible de voir ou de vouloir autre chose que ce qui peut y porter son âme ; et comme submergée et engloutie dans cette fange honteuse, l’âme n’est plus qu’une esclave. Si donc l’Apôtre a dit : « Mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps », c’est qu’alors et surtout au moment de l’acte infâme, le cœur devient véritablement et absolument l’esclave du corps ; et ce serait pour détourner plus efficacement de pareilles horreurs qu’il aurait dit encore : « Quoi ! je prendrai au Christ ses membres et j’en ferai les membres d’une prostituée ? » et qu’il aurait répondu avec exécration et frémissement : « Dieu m’en garde ! Ne savez-vous pas que s’unir à une prostituée, c’est devenir un même corps avec elle, car il est dit : Ils seront deux en une seule chair ? » Or, pourrait-on en dire autant des autres crimes ; quels qu’ils soient, que commettent

  1. Psa. 13, 1
  2. 2Co. 5, 10
  3. Gal. 5, 19-21