Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/73

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n’avoir plus aucun penchant mauvais. Que faire alors ? « Conduisez-vous par l’esprit » ; et puisque vous ne pouvez éteindre absolument les désirs de la chair, « ne les accomplissez pas ». Vous devez aspirer sans doute à les détruire, à les arracher, à les déraciner complètement ; mais tant qu’ils sont encore en vous ; et qu’il y a dans vos membres une loi qui résiste à la loi de votre esprit, « n’accomplissez point les désirs de la chair ». Vous voudriez n’éprouver plus aucun de ces désirs ; mais ces désirs mêmes résistent : résistez-leur. Vous voudriez n’en plus avoir, mais vous en avez : « La chair s’élève contre l’esprit » : que l’esprit s’élève contre la chair. « Et vous ne faites point ce que vous voulez », vous n’arrivez pas à anéantir ces inclinations de la chair : qu’elles ne fassent pas non plus ce qu’elles veulent ; qu’elles ne vous fassent pas non plus accomplir ce qu’elles désirent. Si on ne cède pas complètement devant toi, ne cède pas non plus ; combats, puisqu’on te combat, afin de remporter un jour la victoire.

7. Sûrement, en effet, mes frères, on aura la victoire : croyons, espérons, aimons ; on aura la victoire un jour, le jour où se fera la dédicace du temple qui se bâtit maintenant, après la captivité. La mort même finira par être détruite, lorsque ce corps corruptible se sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel, d’immortalité. Lisez d’avance ces chants de triomphe. « O mort, où est ton ardeur dans la lutte[1] ? ». C’est bien le chant de triomphe et non le cri des combattants ; car voici ce que disent ceux-ci : « Prenez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme ; guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os sont ébranlés et que mon âme est violemment troublée. Et vous, Seigneur, jusques à quand ? » N’est-ce pas ici le travail de la lutte ? Et vous, Seigneur, jusques à quand ? » Jusques à quand ? Jusqu’à ce que tu sois bien convaincu que c’est moi qui te soutiens. Si je te secourais à l’instant même, tu ne sentirais pas le travail de la lutte ; ne le sentant pas, tu présumerais de tes forces, et cet orgueil t’empêcherait de remporter la victoire. Il est écrit, à la vérité : « Tu parleras encore, que je répondrai : Me voici[2] » ; mais en retardant, Dieu ne nous oublie pas, il nous aide en différant, et son délai même est un secours : car en exauçant trop tôt nos désirs, il ne nous assurerait point une santé parfaite.

8. Manquait-il à l’apôtre saint Paul, mes frères, lorsqu’au milieu de la mêlée celui-ci craignait de s’enorgueillir ? De peur, disait-il, que la grandeur de mes révélations ne m’élève ». Cet Apôtre était donc ainsi aux prises dans l’arène, sans jouir encore de la sécurité de la victoire. « De peur que je ne m’élève à cause de la grandeur de mes révélations ». Qui dit : « De peur que je ne m’élève ? » Quel sujet de craindre ? quel sujet de trembler ? Qui dit : « De peur que je ne m’élève ? » Si souvent il réprime l’orgueil, abaisse la présomption, et il dit : « De peur que je ne m’élève ! » Ce n’est même pas assez pour lui de craindre de s’élever : considérez quel remède il se dit obligé de prendre. De peur que je ne m’élève, il m’a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan ». Quelle plaie venimeuse, que le poison seul peut guérir ! « Il m’a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter ». Pour D’empêcher de lever la tête, on le frappait à la tête. Quel contre-poison, formé, pour ainsi dire, du serpent lui-même et méritant ainsi le nom de thériaque ! C’est le serpent qui nous a inspiré l’orgueil. Goûtez et vous serez comme des dieux, disait-il : c’était bien là inoculer l’orgueil[3] ; c’était nous faire tomber par où il était tombé lui-même. Ne convenait-il donc pas que le serpent servît à guérir la plaie venimeuse faite par le serpent ? « Que dit encore l’Apôtre ? C’est pourquoi j’ai demandé trois fois au Seigneur qu’il le retirât de moi ». Mais qu’est devenue cette promesse : « Tu parleras encore, que je répondrai : Me voici ? – C’est pourquoi j’ai demandé au Seigneur », non pas une fois, mais deux fois et même trois. Ne disait-il pas alors : « Et vous, Seigneur, jusques à quand ? » Si le Seigneur différait, il n’était pas moins là et il ne démentait pas cette promesse : « Tu parleras encore, que je répondrai : Me voici ». Si le médecin est là quand il t’accorde ce qui te plaît, n’est-il pas là aussi quand il tranche ? Ne lui cries-tu pas de cesser, quand tu sens le tranchant du fer, et son amour même pour toi ne fait-il pas qu’il continue ? Pour te convaincre enfin que le

  1. 1Co. 15, 26.53-55
  2. Isa. 58, 9
  3. Gen. 3, 5