Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/86

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celui-là ? Pourquoi choisit-il l’un et non pas l’autre ? Qu’on ne m’adresse pas cette question. Je suis homme ; je constate la profondeur de la croix, je ne la pénètre pas ; elle m’épouvante, je ne la sonde pas. Ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables[1]. Je suis homme et tu es homme ; il était homme aussi, celui qui disait : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu[2] ? » et homme il s’adressait à l’homme. Que l’homme écoute donc pour ne pas périr, lui pour qui Dieu s’est fait homme. Ainsi, en face de cette profondeur mystérieuse de la croix, en face de telles obscurités, attachons-nous à ce que nous avons chanté ; ne présumons point de notre propre vertu, n’attribuons rien dans ce mystère à la faible capacité de notre petit esprit ; répétons le psaume et disons avec lui : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, ayez pitié de moi ». Pourquoi ? Est-ce parce que je puis vous mériter ? Non. Pourquoi alors ? Est-ce parce que ma volonté peut mériter votre grâce avant de l’obtenir ? Non encore. Pourquoi donc ? Parce que c’est en vous que se confie mon âme[3] ». Ah ! quelle science que cette confiance ! Tournons-nous avec un cœur pur, etc.


SERMON CLXVI.
L’HOMME DÉIFIÉ[4].

ANALYSE. – D’un côté l’Apôtre nous ordonne de renoncer au mensonge, et David nous enseigne d’autre part que tout homme est menteur. Si tout homme est menteur, lui est-il possible de renoncer au mensonge ? Cela ne lui est possible, dit saint Augustin, qu’autant qu’il cesse d’être homme pour devenir homme-dieu, non par nature, comme Jésus-Christ, mais par grâce et par adoption. Aussi notre vocation à tous est de devenir dieux dans ce sens : pourquoi n’y correspondre pas ?

1. L’Apôtre vient de nous dire : « Renoncez au mensonge et dites la vérité » ; mais on lit dans un psaume : « Tout homme est menteur ». Ces deux pensées ne sont-elles pas contraires ? En deux mots je vous montrerai que non, pourvu que le Seigneur daigne nous éclairer. Que signifient donc, d’une part : « Renoncez au mensonge et dites la vérité » ; et d’autre part : « Tout homme est menteur ? » Dieu n’ordonne-t-il pas l’impossible par son Apôtre ? Non. Qu’ordonne-t-il donc ? J’ose le déclarer, mais ne vous croyez pas outragés, car je me confonds avec vous, Dieu exige que nous ne soyons pas des hommes. Si je disais : Dieu exige que vous ne soyez pas des hommes, vous pourriez vous mécontenter ; aussi pour détourner ce mécontentement, je me suis confondu avec vous.

2. Je vais plus loin avec votre sainteté. Il est sûr que l’Apôtre a fait aux hommes un crime d’être hommes ; il leur en parle avec un ton de reproche. Dans la colère nous disons à quelqu’un : Tu es une bête ; et le fouet de la justice divine à la main, l’Apôtre reproche aux hommes d’être des hommes. Mais s’il leur faisait un crime d’être des hommes, que voulait-il donc qu’ils devinssent ? Dès qu’il y a entre vous, déclare-t-il, jalousie et esprit de contention, n’êtes-vous pas charnels et ne vivez-vous pas humainement ? L’un dit : Moi je suis à Paul ; et un autre : Moi à Apollo ; n’est-ce donc pas une preuve que vous êtes des hommes[5] ». C’est bien pour les blâmer et les réprimander qu’il leur dit : « N’est-ce pas une preuve que vous êtes des hommes ? » Et que voulait-il qu’ils devinssent, sinon ce qui est rappelé dans un psaume : « Je l’ai dit : Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ? » C’est

  1. Rom. 11, 33
  2. Id. 9, 20
  3. Psa. 56, 2
  4. Eph. 4, 25 ; Psa. 115, 11
  5. 1Co. 3, 3, 4