Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/95

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condition vile méprise la noblesse et montre sous ce rapport une humilité véritable ? Oui, « moi aussi, j’ai de quoi mettre ma confiance dans la chair ». Je puis donc vous enseigner à ne faire aucun cas de ce que vous me voyez fouler aux pieds moi-même. « Si quelqu’un croit pouvoir se confier dans la chair, je le puis davantage ».

5. Voici enfin la nature de cette confiance. « J’ai été circoncis le huitième jour » : je ne suis par conséquent ni prosélyte, ni étranger, au sein du peuple de Dieu ; je n’ai pas été circoncis dans un âge déjà avancé, mais le huitième jour, réellement, puisque je suis né de parents juifs. « De la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, hébreu de pères hébreux ; pharisien dans le zèle pour la loi ». Les pharisiens étaient comme les premiers de la nation, comme la noblesse juive ; ils n’étaient pas confondus avec le petit peuple. Ce mot de pharisien signifie, dit-on, une espèce de séparation, comme en latin le mot egregius distingué, signifie tiré de la foule, e grege. De la race d’Israël faisaient partie aussi les tribus qui avaient renoncé au temple. Mais les tribus de Benjamin et de Juda étaient restées fidèles. À l’époque du schisme qui eut lieu sous le serviteur de Salomon, il n’y eut en effet pour continuer à fréquenter Jérusalem et le temple du vrai Dieu, que la tribu sacerdotale de Lévi, la tribu royale de Juda, et la tribu de Benjamin[1]. Il ne faut donc point passer légèrement sur ce mot : « De la tribu de Benjamin » c’est-à-dire attaché à Juda et fidèle au temple. « Hébreu de parents hébreux ; quant à la loi, pharisien ; quant au zèle, persécuteur de l’Église ». Il considère donc comme un de ses mérites d’avoir persécuté les chrétiens. « C’était par zèle, dit-il ». En d’autres termes, je n’étais pas un juif indolent, je souffrais avec peine et j’attaquais avec vigueur tout ce qui semblait contraire à ma loi. Toutes ces distinctions étaient parmi les Juifs des caractères de noblesse ; mais il faut être humble pour être chrétien. Aussi l’Apôtre s’appelait-il Saul quand il était Juif et a-t-il pris le nom de Paul quand il est devenu l’un des nôtres. Le mot Saul vient de Saül. Vous savez ce qu’était Saül, quelle haute taille il avait. L’Écriture dit de lui qu’il surpassait tous les autres quand il fut choisi pour recevoir l’onction royale[2]. Tel n’était pas Paul, mais seulement quand il eut pris ce nom de Paul, qui veut dire Petit. « Par zèle donc persécuteur de l’Église ». Comprenez par là quel rang j’occupais parmi les Juifs, puisque le zèle de nos traditions paternelles me déterminait à persécuter l’Église du Christ.

6. Il ajoute : « Quant à la justice de la loi, ayant vécu sans reproche ». Votre charité n’ignore pas qu’il est dit de Zacharie et d’Elizabeth qu’ils marchaient sans reproche dans toutes les prescriptions du Seigneur. « Observant tous deux, dit l’Écriture, les commandements du Seigneur sans reproche[3] ». C’est ce que faisait notre saint Apôtre quand il s’appelait Saul. Il suivait la loi sans encourir de reproche ; mais ce fut en ne méritant point de reproche qu’il arriva à mériter un reproche bien grave. Quoi donc ? rues frères, estimons-nous qu’il y eût du mal à vivre irrépréhensible dans la justice commandée par la loi ? S’il y avait du mal à cela, il y en avait donc aussi dans la loi même ? Le même Apôtre nous dit néanmoins : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon[4] ». Or, la loi étant sainte, et le commandement saint, juste et bon, comment y aurait-il du mal à vivre irréprochable dans l’observation de la justice ordonnée par cette sainte loi ? N’est-ce pas plutôt être saint ? Et pourtant est-ce être saint que de vivre ainsi ? Écoutons encore le même Apôtre, voici ce qu’il dit : « Ce qui était gain pour moi, je l’ai jugé perte à cause du Christ ». Il parle ici de ses pertes réelles, et dans le nombre de ses pertes il met la vie irréprochable qu’il a menée conformément à la justice légale. « Bien plus, continue-t-il, j’estime que tout est perte comparativement à l’éminente connaissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». J’examine ce qui fait ma gloire, et je le mets en face de la grandeur incomparable de Notre-Seigneur Jésus-Christ. J’ai soif de ceci, dégoût pour cela. C’est peu : « Non-seulement je regarde tout comme perte en face de lui ; mais quand il s’agit de gagner le Christ, tout n’est à mes yeux que fumier ».

7. Voici, grand Apôtre, une question plus profonde. Vous viviez, sans mériter de reproche, conformément à la justice ordonnée par la loi ; cette vie néanmoins est considérée par

  1. 1Ro. 12
  2. 1Sa. 9, 2
  3. Luc. 10, 6
  4. Rom. 7, 12