Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/136

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toute vue terrestre, parle seule à seul au Seigneur qui l’entend. Elle prend le nom de cri, à cause de la rapidité de son élan. « Et il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte ». Un autre prophète appelle montagne le Seigneur lui-même, quand il écrit qu’une pierre détachée sans la main d’un homme, s’éleva comme une grande montagne[1]. Mais cela ne peut s’entendre de sa personne même, à moins de faire dire au Christ : Le Seigneur m’a exaucé, « de moi-même » comme de sa montagne sainte, car il habite en moi comme en sa hauteur. Mais il est mieux et plus court d’entendre que le Seigneur l’a exaucé du haut de sa justice. Car il devait à sa justice de ressusciter l’innocent mis à mort, à qui l’on a rendu le mal pour le bien, et de châtier ses persécuteurs. Nous lisons en effet que « la justice de Dieu est élevée comme les montagnes[2] ».

5. « Pour moi, je me suis endormi, j’ai pris mon sommeil[3] » Il n’est pas inutile de remarquer cette expression, « pour moi », qui montre que c’est par sa volonté qu’il a subi la mort, selon cette parole : « C’est pour cela que mon Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin que je la reprenne de nouveau. Nul ne me l’ôte : j’ai le pouvoir de la donner, comme j’ai le pouvoir de la reprendre[4] ». Ce n’est donc pas vous, dit-il, qui m’avez saisi malgré moi, et qui m’avez tué : mais « moi, j’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur me protège ». Mille fois dans l’Écriture le sommeil se dit pour la mort ; ainsi l’Apôtre a dit : « Je ne veux rien vous laisser ignorer, mes frères, au sujet de ceux qui dorment[5] ». Ne demandons point pourquoi le Prophète ajoute : « J’ai pris mon sommeil », après avoir dit : « J’ai dormi ». Ces répétitions sont d’usage dans les Écritures, comme nous en avons montré beaucoup dans le psaume second. Dans d’autres exemplaires, on lit : « J’ai dormi, j’ai goûté un profond sommeil », et autrement encore en d’autres comme ils ont pu comprendre ces mots du grec, ego de ekoimeten kai uposa. Peut-être l’assoupissement désignerait-il le mourant, et le sommeil celui qui est mort, puisque l’on passe de l’assoupissement au sommeil, comme de la somnolence à la veille complète. Gardons-nous de ne voir dans ces répétitions des livres saints que de futiles ornements du discours. « Je me suis assoupi, j’ai dormi profondément », se dit très bien pour : Je me suis abandonné aux douleurs que la mort a couronnées. « Je me suis éveillé, parce que le Seigneur me soutiendra[6] ». Remarquons ici que dans le même verset, le verbe est au passé, puis au futur. Car « j’ai dormi » est du passé ; et « soutiendra » est au futur ; comme si le Christ ne pouvait en effet ressusciter que par le secours du Seigneur. Mais dans les prophéties, le futur se met pour le passé, avec la même signification. Ce qui est annoncé pour l’avenir est au futur selon le temps, mais dans la science du Prophète, c’est un fait accompli. On trouve aussi des expressions au présent, et qui seront expliquées à mesure qu’elles se présenteront.

6. « Je ne craindrai pas cette innombrable « populace qui m’environne[7] ». L’Évangile a parlé de cette foule qui environnait Jésus souffrant sur la croix[8]. « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu[9] ». Cette expression, « lève-toi », ne s’adresse pas à un Dieu qui sommeille, ou qui se repose ; mais il est d’ordinaire, dans les saintes Écritures, d’attribuer à la personne de Dieu ce qu’il fait en nous : non point toujours, sans doute, mais quand cela se peut dire convenablement, comme on dit que c’est Dieu qui parle, quand un prophète ou un apôtre, ou quelque messager de la vérité, a reçu de lui le don de parler. De là ce mot de saint Paul : « Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par ma bouche ?[10] » Il ne dit pas : De celui qui m’éclaire, ou qui m’ordonne de parler ; mais il attribue sa parole même à celui qui l’a chargé de l’annoncer.

7. « Parce que c’est toi qui as frappé tous ceux qui s’élevaient contre moi sans motif ». N’arrangeons point les paroles, de manière à ne former qu’un même verset : « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu, voilà que tu as frappé tous ceux qui s’élevaient contre moi sans motif ». Si le Seigneur l’a sauvé, ce n’est point parce qu’il a frappé ses ennemis, il ne les a frappés au contraire qu’après l’avoir sauvé. Ces paroles appartiennent donc à ce qui suit, de manière à former ce sens : « Voilà que tu as frappé ceux qui s’élevaient contre moi sans motif, tu as brisé les dents des pécheurs[11] » :

  1. Dan. 2,35
  2. Ps. 35,7
  3. Ps. 3,6
  4. Jn. 10,17-18
  5. 1 Thes. 4,12
  6. Ps. 3,6
  7. Ps. 3,7
  8. Mt. 27,39
  9. Ps. 3,7
  10. 2 Cor. 13,3
  11. Ps. 3,9