Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/141

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Ce que vous dites, dans vos cœurs », suppléez : « dites-le », de manière que la pensée complète soit celle-ci : Dites bien de cœur ce que vous dites, et ne soyez pas un peuple dont il est écrit : « Ce peuple m’honore des lèvres, et les cœurs sont loin de moi[1]. Soyez contrits dans le secret de vos demeures[2] ». Le Prophète avait dit dans le même sens : « Dans vos cœurs », c’est-à-dire dans ces endroits secrets où le Seigneur nous avertit de prier après en avoir fermé les portes[3]. Ce conseil : « Soyez contrits », ou bien recommande cette douleur de la pénitence qui porte l’âme à s’affliger, à se châtier elle-même, pour échapper à cette sentence de Dieu qui la condamnerait aux tourments, ou bien c’est un stimulant qui nous tient dans l’éveil, afin que nous jouissions de la lumière du Christ. Au lieu de : « Repentez-vous », d’autres préfèrent : « Ouvrez-vous », à cause de cette expression du psautier grec : katanugete, qui a rapport à cette dilatation du cœur nécessaire à la diffusion de la charité par l’Esprit-Saint.

7. « Offrez un sacrifice de justice, et espérez au Seigneur[4] ». Le Psalmiste a dit ailleurs : « Le sacrifice agréable à Dieu est un cœur contrit[5] ». Alors un sacrifice de justice peut bien s’entendre de celui qu’offre une âme pénitente. Quoi de plus juste que de s’irriter plutôt contre ses propres fautes que contre celles des autres, et de s’immoler à Dieu en se châtiant ? Ou bien, par sacrifice de justice faudrait-il entendre les bonnes œuvres faites après la pénitence ? Car le « Diapsalma » placé ici pourrait fort bien nous indiquer la transition de la vie passée à une vie nouvelle ; en sorte que le vieil homme étant détruit ou du moins affaibli par la pénitence, l’homme devenu nouveau par la régénération, offre à Dieu un sacrifice de justice, quand l’âme purifiée s’offre et s’immole sur l’autel de la foi, pour être consumée par le feu divin ou par le Saint-Esprit. En sorte que : « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur », reviendrait à dire : Vivez saintement, attendez le don de l’Esprit-Saint, afin que vous soyez éclairés par cette vérité à laquelle vous avez cru.

8. Néanmoins « espérez dans le Seigneur » est encore obscur. Qu’espérons-nous, sinon des biens ? Mais chacun veut obtenir de Dieu le bien qu’il préfère, et l’on trouve rarement un homme pour aimer les biens invisibles, ces biens de l’homme intérieur, seuls dignes de notre attachement, puisqu’on ne doit user des autres que par nécessité, et non pour y mettre sa joie. Aussi le Prophète, après avoir dit : « Espérez dans le Seigneur », ajoute avec beaucoup de raison : « Beaucoup disent : Qui nous montre des biens[6] ? » discours et question que nous trouvons journellement dans la bouche des insensés et des méchants qui veulent jouir ici-bas d’une paix, d’une tranquillité que la malignité des hommes les empêche d’y trouver. Dans leur aveuglement, ils osent accuser l’ordre providentiel, et se roulant dans leurs propres forfaits, ils pensent que les temps actuels sont pires que ceux d’autrefois. Ou bien aux promesses que Dieu nous fait de la vie future, ils opposent le doute et le désespoir, et nous répètent sans cesse Qui sait si tout cela est vrai, ou qui est revenu d’entre les morts pour nous en parler ? Le Prophète expose donc admirablement et en peu de mots, mais seulement aux yeux de la foi, les biens que nous devons chercher. Quant à ceux qui demandent : « Qui nous montrera la félicité ? » il répond : « La lumière de votre face est empreinte sur nous, ô Dieu[7] ». Cette lumière qui brille à l’esprit et non aux yeux, est tout le bien réel de l’homme. Selon le Prophète, « nous en portons l’empreinte », comme le denier porte l’image du prince. Car l’homme à sa création reflétait l’image et la ressemblance de Dieu[8], image que défigura le péché : le bien véritable et solide pour lui est donc d’être marqué de nouveau par la régénération. Tel est, je crois, le sens que de sages interprètes ont donné à ce que dit le Sauveur, en voyant la monnaie de César : « Rendez à César ce qui est de César, et à Dieu ce qui est de Dieu[9] », comme s’il eût dit : Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son image soit empreinte sur la monnaie ; si vous rendez cette monnaie au prince, rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face. « Vous avez mis la joie dans mon cœur ». Ce n’est donc point à l’extérieur que doivent chercher la joie, ces hommes lents de cœur, aimant la joie et recherchant le mensonge, mais à l’intérieur, où Dieu a gravé le signe de sa lumière. Car l’Apôtre l’a dit : « Le Christ habite chez l’homme intérieur[10] »,

  1. Isa. 29,13
  2. Ps. 4,5
  3. Mt. 6,6
  4. Ps. 4,6
  5. Id. 50,19
  6. Ps. 4,6
  7. Id. 7
  8. Gen. 1,26
  9. Mt. 22,21
  10. Eph. 3,17