Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/236

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à contredire. Tous deux aiment le juge avant la sentence. Toutefois, cette sentence à prononcer condamnera l’un des deux, et nul ne sait qui sera condamné. Si le juge veut plaire à tous deux, il reçoit en présent la louange des hommes. Et ce présent qu’il accepte, voyez quel présent il lui fait perdre. Il reçoit une parole qui fait du bruit et qui passe, il perd la parole que l’on répète, qui ne passe point ; car la parole de Dieu se dit toujours, sans passer jamais ; et la parole de l’homme s’évanouit, à mesure qu’on la profère. Il perd ce qui est immuable, pour avoir ce qui est futile. Mais s’il n’a que Dieu en vue, il prononcera une sentence contre l’un d’eux, tenant ses regards sur Dieu, qu’il écoute en jugeant ainsi. Quant à celui que condamne cette sentence, peut-être ne pourrait-il la faire cesser, surtout s’il n’est point du ressort du droit ecclésiastique, mais des lois des princes, ils ont la déférence envers l’Église a rendu lotis ses jugements irrévocables ; mais s’il ne peut faire cesser la sentence, loin de jeter les veux sur lui-même, il les tourne aveuglément vers le juge, qu’il déchire de tout son pouvoir. Il a voulu, dit-il, plaire à mon adversaire, il a favorisé le riche, il en a reçu des présents, il a craint de le blesser. Il accuse donc son juge d’avoir reçu des présents. Qu’un pauvre ait une affaire contre un riche, et que l’on prononce en faveur du pauvre ; le riche tient le même langage. Il a reçu des présents. Quels présents peut faire un pauvre ? Il a vu, dit-il, sa pauvreté, il a craint le blâme s’il jugeait au désavantage du pauvre, et voilà qu’il a étouffé la justice et porté une sentence contre la vérité. Si donc ces récriminations sont inévitables, comprenez que Dieu seul voit ceux qui reçoivent les présents et ceux qui les rejettent, et que devant lui seulement, ceux qui les refusent, peuvent dire : « Pour moi, j’ai marché dans l’innocence, délivrez-moi, prenez-moi en pitié, mon pied est demeure dans la voie droite[1] ». Sans doute, j’ai pu être ébranlé par les scandales et les efforts de ceux qui se récriaient avec une téméraire audace contre mon jugement, mais « mon pied est demeuré dans le sentier droit ». Pourquoi, dans le chemin droit ? parce qu’il avait dit plus haut : « J’espère dans le Seigneur, et je ne serai point ébranlé »[2].
14. Quelle est sa conclusion ? « Je vous bénirai, Seigneur, dans les grandes assemblées »[3]. C’est-à-dire, ce n’est point moi que je bénirai dans les églises, comme si j’étais assuré des hommes, mais c’est vous que je bénirai par mes œuvres : et bénir Dieu dans les assemblées, mes frères, c’est vivre de manière que les œuvres de chacun soient une gloire pour le Seigneur. Bénir le Seigneur par la langue, et le maudire par des actes, ce n’est point le bénir dans les assemblées ; presque tous le bénissent de la langue ; mais pas tous par les œuvres. Quelques-uns le bénissent en paroles, et d’autres par les actions. Mais ceux dont les actes sont en désaccord avec les paroles, font blasphémer le Seigneur. Et ceux qui n’entrent point dans l’Église, bien que le vrai motif qui les empêche d’être chrétiens, soit l’attachement pour leurs désordres, prennent pour excuse les mauvais chrétiens, et ils s’applaudissent, ils se trompent eux-mêmes en disant : Pourquoi m’exciter à devenir chrétien ? Un chrétien m’a trompé, et moi, jamais ; un chrétien s’est parjuré envers moi, et moi, jamais. Ce langage les détourne du salut, et c’est en vain, non seulement qu’ils ont quelques qualités, mais qu’ils ne sont qu’à demi mauvais ; de même qu’un homme qui est dans les ténèbres ouvrira vainement les yeux, de même c’est en vain qu’il est en face de la lumière, s’il veut les fermer. C’est là l’image d’un païen, et j’en parle volontiers à cause de leur vie honnête en apparence ; il ouvre les yeux, mais il est dans les ténèbres, parce qu’il ne connaît point le Seigneur qui est sa lumière ; quant au chrétien qui vit dans le désordre, il est, je l’avoue, dans la lumière de Dieu, mais ses yeux sont fermés. Dans sa dépravation, il refuse de voir celui ami nom duquel il est, en plein jour, un aveugle, que ne vivifie aucun rayon de la véritable lumière.

  1. Ps. 25,11-12
  2. Ps. 25,1
  3. Id. 22