Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/255

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raisonne et que n’ont point les animaux. Quelle est donc leur doctrine ? Ils enseignent que le Verbe de Dieu était, dans son humanité, ce que l’esprit est en nous. L’Église les a rejetés, la foi catholique les a eus en horreur, et ils ont formé une secte hérétique. La foi catholique a déclaré que cet homme, dont la sagesse divine a daigné se revêtir, n’avait rien de moins que les autres hommes, pour ce qui est de l’intégrité de nature ; mais que l’excellence de la personne le rendait supérieur aux autres hommes. Car on peut dire des autres qu’ils participent au Verbe de Dieu, puisque le Verbe de Dieu est en eux ; mais aucun d’eux ne peut être appelé Verbe de Dieu, comme l’a été celui-ci dans l’Évangile : « Le Verbe s’est fait chair »[1].
3. D’autres hérétiques, issus de ces derniers, ont refusé à cet Homme-Dieu, à ce Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, non seulement la raison, mais l’âme humaine. Ils ont soutenu qu’il était Verbe et chair, mais qu’il n’y avait en lui ni raison humaine, ni hie humaine. Voilà ce qu’il, s enseignaient. Qu’était donc Jésus-Christ, selon eux ? Le Verbe et la chair. L’Église les a rejetés aussi et séparés de ses brebis, de la vraie et simple croyance, et a déclaré, comme je viens de le dire, que l’homme médiateur eut tout ce qui est de l’homme, à l’exception du péché. Si en effet, nous voyons en lui beaucoup d’actions corporelles, qui nous démontrent qu’il avait un corps véritable, et non un corps fictif ; comment voulons-nous entendre qu’il avait un corps ? Ainsi, il marche, il s’assied, il dort, il est saisi, flagellé, souffleté, cloué à la croix, il meurt. Ôtez le corps, et rien de tout cela n’aura lieu. Comme donc à toutes ces marques de l’Évangile nous reconnaissons que le Christ avait un corps véritable, ainsi que lui-même l’atteste après sa résurrection, quand il dit : « Touchez et voyez, un esprit n’a point une chair et des os, comme vous m’en voyez »[2] ; comme à ces indices et à ces actes, nous croyons, nous comprenons, nous reconnaissons que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait un corps, ainsi d’autres particularités de la nature nous font croire qu’il avait une âme. Avoir faim et soif, sont des œuvres de l’âme ôtez l’âme, et le corps inanimé ne sentira plus ces besoins. S’ils soutiennent que ces besoins étaient fictifs, nous ne verrons non plus que de la fiction dans ce qui est dit du corps ; mais si la vérité des actions corporelles nous fait conclure à la vérité du corps, la vérité des actions de l’âme nous fera conclure que l’âme aussi était véritable.
4. Quoi donc ? ô homme qui m’écoutes, le Seigneur s’est fait infirme comme toi, sans doute, mais ne va point te comparer à lui. Tu n’es qu’une créature, et lui est créateur. Que le Verbe Fils de Dieu, que ton Dieu se soit fait homme, ce n’est point une raison de comparer cet homme avec toi-même, mais bien de l’élever au-dessus de toi, puisqu’il est ton médiateur, et au-dessus de toute créature, puisqu’il est Dieu : et de comprendre enfin que celui qui se fait homme pour toi, peut bien s’abaisser à prier pour toi ; et si la prière n’est point une dérogation à sa dignité, il peut aussi, sans dérogation, dire pour toi ces paroles : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Mais si nous n’entendons bien de quels ennemis il s’agit, nous fausserons ces paroles, en les mettant dans la bouche de Jésus-Christ. Comment le Christ dira-t-il avec vérité : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ? » Comment cela serait-il vrai, de son humanité, de sa faiblesse, de sa chair ? car il fut un sujet de triomphe pour ses ennemis, lorsqu’ils le crucifièrent, qu’ils le saisirent, qu’ils le flagellèrent, qu’ils le souffletèrent, en lui disant : « Prophétise-nous, ô Christ »[3]. Cette joie qu’ils eurent nous force en quelque sorte de croire à la fausseté de ces paroles : « Et vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Ensuite, quand il était à la croix, ils passaient ou s’arrêtaient, ils le fixaient en branlant la tête et en disant : « Voyez ce Fils de Dieu, il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même ; qu’il descende de la croix et nous croirons en lui »[4]. Ne tressaillent-ils pas en lui jetant ces injures ? Que devient donc cette parole : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ? »
5. Peut-être cette parole n’est-elle point de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais de l’homme, mais de l’Église entière, du peuple chrétien

  1. Jn. 1,14
  2. Lc. 24,39
  3. Mt. 26,68
  4. Id. 27,42