Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/266

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puisqu’il était venu pour souffrir ; et pouvait-il craindre en voyant arriver cette mort qu’il était venu chercher ? S’il n’y avait en lui qu’un homme, et nullement un Dieu, sa résurrection ne lui causerait-elle pas plus de joie que sa mort ne lui cause de crainte ? Toutefois, comme il a daigné prendre la forme de l’esclave, et par ce moyen nous revêtir de lui, voilà que celui qui n’a pas dédaigné de se revêtir de nous pour nous transfigurer en lui, voudra bien aussi prendre notre langage, afin que nous puissions nous approprier ses paroles. Tel est l’ineffable commerce, l’échange merveilleux, la révolution divine opérée dans ce monde par le céleste négociateur. Il vient recueillir les outrages et nous combler d’honneurs ; il vient se rassasier de douleurs, et nous donner le salut ; il vient passer par la mort, et nous donner la vie. Sur le point de mourir dans ce qu’il tient de notre nature, il fut saisi de frayeur, non pas en lui, mais dans ce qui est de nous ; car il dit alors que son âme était triste jusqu’à la mort[1], et nous tous alors nous étions en lui. Sans lui, en effet, nous ne sommes rien ; en lui il y a le Christ et nous avec lui. Pourquoi ? Parce que dans son intégrité, le Christ comprend sa tête et son corps. C’est la tête qui est le Sauveur, qui a racheté le corps, et qui est déjà remonté au ciel : le corps est cette Église qui souffre sur la terre[2]. Mais si le corps ne tenait à la tête par les liens de la charité, de manière que tête et corps ne formassent qu’un seul homme, il n’aurait pu faire ce reproche à un fameux persécuteur : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter »[3]. Car alors il était assis dans le ciel, où nul homme ne peut l’atteindre ; et comment les persécutions de Saul contre les chrétiens pouvaient-elles l’offenser ? Il ne dit point : Pourquoi persécuter mes saints, mes serviteurs ; mais bien : « Pourquoi me persécuter ? » c’est-à-dire moi, dans mes membres. La tête criait pour les membres, le chef transfigurait ces membres en lui-même. La langue en effet parle au nom du pied. Que notre pied soit meurtri dans une foule, la langue s’écrie aussitôt : Vous marchez sur moi. Elle ne dit point : Vous écrasez mon pied, mais elle se plaint qu’on l’écrase quand nul ne la touche, parce qu’elle n’est point séparée du pied qui souffre. On peut donc, dans un sens analogue, appeler cette extase une frayeur. Qu’ajouterai-je, mes frères ? Si nulle crainte ne devait agiter ceux qui vont souffrir, le Seigneur dirait-il à Pierre, en lui annonçant les souffrances qui l’attendent, ces paroles que nous venons d’entendre à la fête des Apôtres : « Lorsque vous étiez plus jeune, vous mettiez vous-même votre ceinture, et vous alliez où vous vouliez, mais quand vous aurez vieilli, un autre vous ceindra et vous mènera où vous ne voudrez pas ». Or, il parlait ainsi, dit l’Évangéliste, marquant de quelle manière il devait mourir[4]. Si donc l’apôtre saint Pierre, cet homme si parfait, alla contre son gré où il ne voulait point aller, il mourut contre son gré, mais reçut de sou plein gré la couronne du martyre, qu’y a-t¨-il d’étonnant, si le trépas des justes et même des saints n’est pas exempt de toute crainte ? La crainte nous vient de l’infirmité humaine, mais l’espérance vient de la promesse divine, Ta frayeur, ô homme, vient de toi, mais l’espérance est un don qui te vient de Dieu. Il est bon que ta frayeur te fasse connaître à toi-même, afin qu’à ta délivrance tu rendes gloire à ton Créateur. Que l’homme tremble, puisqu’il est faible, mais cette crainte n’est pas un abandon de la divine miséricorde. C’est à cause de la crainte que le Prophète commence notre psaume, en s’écriant : « Seigneur, j’ai mis en vous mon espoir, et je ne serai point confondu »[5]. Voyez, il craint et il espère ; sa crainte, vous le voyez, n’est point sans espérance. Le trouble que ressent parfois notre cœur, n’en éloigne pas toute consolation divine.
4. C’est donc le Christ qui parle ici par son Prophète ; oui, j’ose le dire, c’est le Christ. Il dira dans le cours du psaume de ces choses qui paraissent peu convenir au Christ, à notre chef par excellence, et surtout à ce Verbe qui était Dieu au commencement, et en Dieu ; souvent encore il y aura des paroles qui paraîtront peu d’accord avec Celui qui a pris la forme de l’esclave, et qui l’a prise au sein d’une vierge : et néanmoins c’est le Christ qui va parler, parce que le Christ est dans les membres du Christ. Et afin que vous compreniez que la tête et le corps ne forment qu’un seul Christ, lui-même nous dit en parlant du mariage : « Ils seront deux dans une seule chair ; donc ils ne seront plus deux, mais une seule chair. » Mais parle-t-il de

  1. Mt. 26,38
  2. Eph. 5,23
  3. Act. 9,4
  4. Jn. 21,18
  5. Ps. 30,2