Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/270

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que je devienne assez fort pour prendre la nourriture des anges. Car celui qui nous a promis la céleste nourriture, nous donne ici-bas du lait, dans sa tendresse maternelle. Comme la nourrice fait passer par sa chair cette nourriture que son enfant trop jeune est incapable de prendre encore, et la lui donné avec son lait (car l’enfant ne reçoit de sa mère, et par le canal de la chair, que la nourriture qu’il aurait prise à table), ainsi le Seigneur, pour faire passer en nous sa sagesse comme un lait divin, se présente à nous, revêtu de chair humaine. C’est donc le corps de Jésus-Christ, qui dit ici : « Vous serez mon aliment ».
10. « Vous me délivrerez du piège qu’ils m’ont tendu en secret »[1]. Voici la passion qui commence à paraître. « Vous me délivrerez du piège qu’ils m’ont tendu en secret ». Non seulement cette passion qu’a dû endurer le Seigneur Jésus ; mais les pièges du démon sont tendus jusqu’à la fin du monde ; et malheur à qui se laisse prendre à ces pièges, et tout homme y tombe, s’il ne met son espoir en Dieu, s’il ne dit : « C’est en vous que j’espère, ô mon Dieu, et je ne tomberai point dans la confusion éternelle : sauvez-moi dans votre justice et délivrez-moi »[2]. L’embûche de l’ennemi est tendue, elle est prête. Il a mis dans cette embûche l’erreur et la crainte l’erreur pour nous enlacer, la crainte pour nous briser, et nous enlever. Pour toi, ferme à l’erreur la porte des convoitises, ferme à la terreur la porte de la timidité, et tu échapperas aux pièges. Celui qui est ton chef, t’a enseigné par lui-même cette manière de combattre, lui qui a voulu, pour t’instruire, être en butte à la tentation. Il fut tenté d’abord par la convoitise, car le diable essaya d’ouvrir chez lui la porte des désirs, quand il lui dit : « Commandez que ces pierres deviennent des pains. Adorez-moi, et je vous donnerai tous ces royaumes. Jetez-vous en bas, car il est écrit : Il a ordonné à ses anges de vous prendre dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre »[3]. Tous ces attraits sont les amorces de la convoitise. Mais quand il vit se fermer les portes de la convoitise en celui qui souffrait d’être tenté pour nous, il fit des essais contre la porte de la crainte, et lui prépara la passion. C’est ce que nous dit l’Évangéliste : « Après avoir épuisé toutes les tentations, Satan s’éloigna de lui pour un temps »[4]. Qu’est-ce à dire : Pour un temps ? Qu’il devait revenir ensuite et diriger ses efforts du côté de la crainte, puisqu’il avait échoué sur le terrain des convoitises. Tout ce corps du Christ sera dont tenté jusqu’à la fin. Aussi, mes frères, quand on lançait contre les chrétiens je ne sais quels édits de persécution, c’est ce corps du Christ, et ce corps tout entier qui était heurté ; delà ce mot du Psalmiste : « On m’a poussé comme un monceau de sable, pour me faire tomber, et le Seigneur m’a soutenu »[5]. Mais quand finirent les maux qui heurtaient le corps entier de l’Église, pour le pousser à sa chute, la tentation devint partielle. Le corps du Christ est mis à l’épreuve ; s’il ne souffre pas dans une Église, il souffre dans une autre. Elle n’a plus à craindre la fureur d’un empereur, mais elle-endure les vexations d’un peuple méchant, Quels ravages lui fait subir la populace ! Quels maux n’endure-t-elle point de la part de ces chrétiens, de ceux qui sont embarrassés dans les filets de Satan, et qui se multiplient tellement, qu’ils submergent les barques dans cette pêche du Sauveur qui précéda la passion[6] ! Les épreuves ne lui manquent point dès lors. Que nul ne se dise : Ce n’est plus le temps des persécutions. Celui qui tient cm langage se promet la paix ; et quiconque se promet la paix, est surpris dans sa sécurité. Que le corps entier de Jésus-Christ s’écrie donc : « Vous me délivrerez de ces embûches qu’ils m’ont tendues en secret » ; car notre chef-a été délivré du piège que lui tendaient en secret ceux dont l’Évangile nous annonçait naguère qu’ils diraient un jour : « Voici l’héritier, venez, tuons-le, et nous posséderons l’héritage », et qui prononcèrent leur condamnation, quand il leur fut demandé : « Quel châtiment doit infliger le maître à ces colons pervers ? Il fera périr ces méchants d’une manière misérable », répondirent-ils, « et louera sa vigne à d’autres vignerons. Quoi ! » reprit le Sauveur, « n’avez-vous pas lu aussi : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la pierre de l’angle » ?[7] » Il nous explique ainsi que « rejeter la pierre, pour ceux qui bâtissaient », c’était « chasser l’héritier hors de la vigne, et le tuer ». Lui donc a été

  1. Ps. 30,5
  2. Id. 2
  3. Mt. 4,4.9-6
  4. Lc. 4,13
  5. Ps. 117,13
  6. Lc. 5,7
  7. Mt. 21,38-42