se sont multipliés à l’infini ? »[1] Aussi les barques ont-elles failli être submergées, les filets rompus, comme il est dit de la première pêche du Seigneur avant la passion[2]. Telle est donc la foule qui se presse dans nos églises, aux fêtes de Pâques, et que leurs murailles trop étroites peuvent à peine contenir. Comment cette multitude n’affligerait-elle point celui qui voit dans les spectacles, dans les amphithéâtres, les mêmes hommes qui remplissaient naguère nos églises ? Quand il voit dans les infamies, ceux qui tout à l’heure chantaient les louanges de Dieu ? Quand il entend le blasphème dans ces bouches qui répondaient : Amen ? Toutefois qu’il persévère, qu’il s’obstine, qu’il ne s’affaiblisse pas au milieu de cette foule innombrable des méchants, puisque le bon grain ne perd rien au milieu des pailles, jusqu’à ce qu’il soit vanné et mis au grenier, c’est là qu’il sera au milieu des saints, à l’abri de toute poussière qui pourrait le troubler. Qu’il persévère, car le Seigneur lui-même, après avoir dit que « le grand nombre d’iniquités fera refroidir la charité de beaucoup », veut empêcher que cette foule d’iniquités ne fasse chanceler nos pas et ne cause notre chute, et pour maintenir les fidèles, pour les consoler, pour les encourager, il ajoute ces paroles : « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin »[3].
3. Considérons que telle est l’affliction de l’interlocuteur du psaume. Cette affliction devrait lui arracher des plaintes, puisque toute affliction porte à la tristesse, et néanmoins dans sa douleur il se dit en colère, et il s’écrie : « Ayez pitié de moi, car la colère a troublé mes yeux ». Pourquoi cette colère, si vous êtes dans l’affliction ? Il s’irrite contre les péchés des autres. Qui ne serait transporté de colère en voyant des hommes qui confessent de bouche le Seigneur, et qui le renient par leurs mœurs ? Qui ne s’irriterait, en voyant des hommes renoncer au monde en parole et non en réalité ? Qui verrait froidement les frères dresser des embûches à leurs frères, et devenir parjures dans ce baiser qu’ils se donnent en recevant les sacrements ? Et qui dirait tous ces sujets de colère pour le corps du Christ qui vit intérieurement de son esprit, et qui gémit comme le bon grain mêlé avec la paille ? À peine sont-ils visibles ceux qui gémissent de la sorte, qui entrent dans ces colères ; comme on voit à peine le grain quand on le foule dans l’aire. Quiconque ne saurait point le nombre d’épis jetés dans l’aire pourrait croire qu’il n’y a que de la paille ; mais sous ce monceau que l’on croirait être entièrement de la paille, le vanneur découvrira beaucoup de bon grain. C’est donc dans ces fidèles qui gémissent en secret, que s’irrite celui qui a dit ailleurs : « Le zèle de votre maison me dévore »[4]. Et dans un autre endroit, à la vue du grand nombre des méchants, il s’écrie : « La défaillance m’a saisi « à la vue de tous ceux qui abandonnent votre loi »[5], et plus loin encore : « J’ai vu les prévaricateurs et j’ai séché dans l’angoisse »[6].
4. Toutefois il est à craindre que cette colère n’arrive jusqu’à la haine ; car une colère n’est point encore la haine. On se fâche contre un fils, on ne le hait point pour cela : tu conserves l’héritage à celui qui tremble de-vaut ton irritation ; et ta colère même n’a d’autre but que de prévenir sa ruine qu’amèneraient ses dérèglements. La colère n’est donc pas encore la haine, et souvent nous sommes loin de haïr l’homme contre lequel nous sommes en colère. Mais que cette colère dure quelque peu dans notre âme, qu’elle n’en soit pas bannie promptement, elle grandit et se tourne en haine. C’est pour nous engager à étouffer toute colère avant qu’elle arrive à la haine, que l’Écriture nous avertit « de ne point laisser coucher le soleil sur, notre colère »[7]. On rencontre parfois un chrétien qui a de la haine, et qui reprend chez un autre un acte de colère ; il fait un crime à un autre de sa colère, et lui-même nourrit de la haine ; il a une poutre dans son œil, et il blâme son frère d’avoir une paille dans le sien[8]. Cette paille néanmoins, ce petit rejeton, deviendra une poutre, s’il n’est arraché promptement. Le psalmiste ne dit donc point : Mon œil s’est fermé de colère, mais « s’est troublé ». L’extinction serait l’effet de la haine et non de la colère. Voyez que la haine éteindrait complètement son œil « Celui-là », dit saint Jean, « qui hait son frère est encore dans les ténèbres »[9]. Donc l’œil est d’abord troublé par la colère avant d’arriver aux ténèbres ; mais veillons à ce que la colère
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