Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/282

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quand tu l’appelles en toi-même ; car l’invoquer, c’est le supplier de venir en toi, et en quelque sorte dans la maison de ton cœur. Mais inviter un tel père de famille, tu n’oserais le faire, si tu ne savais lui préparer une habitation convenable. Que le Seigneur en effet te réponde et te dise : Sur ton appel, me voici, où entrer ? Puis-je subir toutes les ordures de ta conscience ? Si tu invitais le moindre de mes serviteurs à entrer dans ta maison, n’aurais-tu pas soin d’y mettre d’abord la propreté ? Voilà que tu m’appelles dans ton cœur, et ce cœur est plein de rapines. Ce lieu où tu appelles un Dieu est plein de blasphèmes, plein d’adultères, plein de rapines, plein de fraudes, plein de convoitises honteuses, et c’est là que tu me fais entrer ! Comment le Prophète a-t-il parlé de ces hommes dans un autre psaume ? Ils n’ont point invoqué le Seigneur[1], dit-il ; sans aucun doute, ils l’avaient invoqué, et néanmoins ils ne l’ont pas invoqué. Je réponds en quelques mots à la question qui vient d’être soulevée : pourquoi un homme exige-t-il une si grande récompense, quand il ne peut alléguer uniquement que le mérite « d’avoir invoqué Dieu », et quand nous voyons tant de méchants l’invoquer aussi, telle est la question qu’il est bon de résoudre. Je dis donc un seul mot à l’avare : Tu invoques le Seigneur ? Pourquoi l’invoquer ? Pour qu’il m’enrichisse, répond-il. C’est donc le gain que tu invoques et non le Seigneur. Ces richesses tant convoitées ne se peuvent acquérir ni par ton serviteur, ni par l’intermédiaire de ton fermier, ni de ton client, ni de ton ami, ni de tes domestiques, et alors tu as recours au Seigneur, tu fais du Seigneur l’entremetteur de tes profits. C’est trop avilir Dieu. Veux-tu invoquer le Seigneur ? Invoque-le gratuitement. Est-ce donc peu pour ton avarice que le Seigneur vienne en toi ? Et s’il y vient sans or ni argent, tu ne voudras point de lui ? Dans toutes ces créatures de Dieu, qu’est-ce qui pourra te suffire, si lui-même ne te suffit point ? C’est donc avec raison que le Prophète a dit : « Que je ne sois pas confondu, puisque je vous ai invoqué ». Invoquez le Seigneur, ô mes frères, si vous ne voulez être confondus. Celui qui tient ce langage redoute une certaine contusion, dont il a parlé au premier verset : « J’ai mis en vous mon espoir, ô mon Dieu, je ne serai point confondu pour l’éternité ». Et pour nous bien préciser la confusion qu’il redoute, qu’a-t-il ajouté, après avoir dit : « Que je ne sois point confondu, parce que je vous ai invoqué ? Honte aux impies », dit-il, « et qu’ils soient conduits dans les enfers », qu’ils tombent dans cette confusion qui sera éternelle.
5. « Silence aux lèvres menteuses, qui profèrent l’outrage contre le juste avec orgueil et dédain[2] ». Ce juste, c’est le Christ. De combien de lèvres débordent contre lui l’outrage avec le dédain de l’orgueil ? D’où viennent cet orgueil et ce dédain ? C’est qu’en venant dans son humilité, il a paru méprisable ana orgueilleux. Comment voulez-vous que des hommes qui raffolent des honneurs ne méprisent point celui qui s’est soumis à tant d’outrages ? Comment ne serait-il pas méprisé par ceux qui font si grand cas de la vie, celui qui a voulu mourir ? Comment n’auraient-ils pas du mépris pour un crucifié, ceux qui regardent comme un opprobre la mort de la croix ? Comment des riches n’auraient-ils pas du mépris pour ce créateur du monde, qui mène ici-bas une vie pauvre ? Tout ce quels hommes recherchent passionnément, Jésus-Christ s’en est abstenu, non par impuissance de le posséder, mais afin que son abstention nous en inspirât le mépris : et c’est pour cet qu’il encourt le mépris de tous ceux qui en raffolent. Tout fidèle qui voudra marcher dans les voies du Christ, et imiter ce qu’on lui enseigne de l’humilité de son divin Maître, sert méprisé dans le Christ, parce qu’il est membre du Christ. Il y a donc mépris pour la tête et pour les membres, et par conséquent pour Jésus-Christ tout entier, parce qu’il y a justice et dans le chef et dans les membres. H tant que Jésus-Christ tout entier soit méprisé par les impies et par les superbes, afin que nus paroles soient accomplies à leur sujet : « Silence aux lèvres menteuses, qui, avec le mépris et le dédain, versent l’iniquité sur le juste ». Quand seront-elles réduites an silence ? Ici-bas ? Jamais. Chaque jour elles profèrent des cris contre les chrétiens, principalement contre les humbles ; chaque jour elles aboient l’outrage et le blasphème : ces langues impies attisent ainsi les douleurs de la soif qui doit les consumer dans l’enfer, où elles désireront la moindre goutte d’eau sans

  1. Ps. 13,5 ; 52,6
  2. Ps. 30,19