Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/290

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la foi et non par les œuvres, il faut éviter un autre abîme que j’ai signalé. Voyez, me dira-t-on, que c’est par la foi, et non par les œuvres, qu’Abraham a été justifié, je puis donc vivre à mon gré, n’eussé-je en effet aucune œuvre sainte, pourvu que je croie en Dieu, cette foi me sera imputée à justice. L’homme qui a tenu ce langage, et a pris cette résolution, est tombé dans l’abîme ; s’il n’en a que la pensée, et qu’il soit dans l’incertitude, c’est déjà un danger. Mais la parole de Dieu, bien comprise, peut non seulement retenir celui qui est près du gouffre, mais en retirer celui qui y est plongé. Je réponds donc pour ainsi dire, à l’encontre de l’Apôtre, et je rapporte d’Abraham, ce que nous lisons dans l’épître d’un Apôtre aussi, qui voulait redresser le sens déplorable que l’on donnait aux paroles de saint Paul. Dans cette lettre, en effet, saint Jacques, voulant réfuter les adversaires des bonnes œuvres, qui s’appuyaient uniquement sur la foi[1], relève les œuvres d’Abraham, dont saint Paul avait relevé la foi ; mais les deux Apôtres ne sont point en contradiction. Saint Jacques rapporte d’Abraham ce que tout le monde connaît, l’immolation d’Isaac ; œuvre sublime, il est vrai, mais œuvre de foi. J’admire la construction de l’édifice, mais je vois que la foi en est la base. Je loue ce fruit parfait d’une bonne œuvre, mais je le vois croître sur l’arbre de la foi. Si Abraham faisait cette œuvre en dehors de la foi, quelle qu’en fût l’excellence, elle lui serait inutile. Si au contraire la foi d’Abraham lui eût fait répondre en lui-même, quand le Seigneur lui commandait le sacrifice de son fils : Je n’obéis point, et néanmoins je crois que Dieu me délivrera en dépit de ses ordres méprisés ; sa foi sans les œuvres n’eût été qu’une foi morte, qu’un arbre stérile et desséché.
4. Que faut-il donc ? et aucune bonne œuvre ne peut-elle exister avant la foi, c’est-à-dire qu’on ne puisse dire qu’un homme avant la foi ait fait aucun bien ? Car tous ces actes de renom que l’on fait avant la foi, quelque louables qu’ils paraissent aux hommes, sont des actes sans valeur. Telles seraient, selon moi, de grandes forces déployées et une course rapide en dehors du bon chemin. Ne comptons donc pour rien les bonnes œuvres faites avant la foi ; car il n’y arien de vraiment bon, où la foi n’existe pas. Ce qui fait le prix de l’œuvre, c’est l’intention, et l’intention doit être réglée par la foi. Ne vous arrêtez dont pas à l’acte que fait un homme, mais au but qu’il se propose, et qu’il veut atteindre en dirigeant son gouvernail avec force et adresse, Supposez qu’un pilote gouverne habilement son navire, mais ne sache plus où il va, de quoi lui servira de bien tenir le gouvernail, de le mouvoir avec adresse, de fendre les flots avec la rame, d’épargner quelque choc à ses flancs ? Supposons même qu’il soit d’une habileté à tourner et à retourner son vaisseau à sa guise, et qu’on lui demande : Où vas-tu ? et qu’il réponde : Je n’en sais rien, ou même que sans dire : Je n’en sais rien, il réponde : Je vais à tel port, et qu’il s’en aille sur les rochers ; n’est-il pas évident que plus cet homme se croit habile et capable de diriger un vaisseau, plus ses manœuvres sont dangereuses, et vont bâter le naufrage ? Tel est l’homme qui précipite sa course en dehors de la bonne voie. N’eût-il pas été de beaucoup préférable, que ce pilote eût un peu moins de vigueur, un peu moins d’habileté à manier le gouvernail, et qu’il suivit exactement le bon chemin ; que cet autre dirigeât son navire avec plus de lenteur et plus de peine, mais dans la bonne voie, au lieu de courir avec tant de vitesse en dehors de la route ? Le plus heureux de tops est donc celui qui est dans le vrai chemin, et y marche sagement ; au second rang est l’espérance, qui chancelle tant soit peu, sans néanmoins s’arrêter, qui s’attarde parfois, mais qui avance peu à peu. Car on peut espérer que malgré ses lenteurs il touchera au but.
5. Donc, mes frères, Abraham fut justifié par la foi ; mais cette foi, si elle n’a été précédée, a été suivie de bonnes œuvres. Car ta foi doit-elle être stérile ? Elle ne le sera point si tu ne l’es toi-même. Si tu mêles à ta foi quelque élément mauvais, c’est un feu qui consume la racine de la foi. Tiens donc ferme dans ta foi, si tu veux agir. Mais, diras-tu, tel n’est point le langage de saint Paul. Au contraire, voici ce que saint Paul enseigne : « C’est la foi », dit-il, « qui agit par la charité »[2]. Et ailleurs : « La plénitude de la loi, c’est la charité »[3]. Et ailleurs encore : « Toute la loi est renfermée dans une seule parole, ainsi formulée : Tu aimeras ton prochain comme toi-même »[4]. Vois s’il ne veut dota part aucune œuvre, celui qui a dit : « Tu ne

  1. Jac. 2,1
  2. Gal. 5,6
  3. Rom. 13,10
  4. Gal. 5,4