Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/306

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voulait personnifier dans cette humanité tous les siens, comme il les personnifiait en lui-même, quand il dit : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger »[1] : comme il les personnifiait, quand lui, que nul ne blessait, cria du haut du ciel à Saul qui frémissait de rage, et persécutait les saints : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? »[2] Il voulait donc te montrer en lui une volonté qui est propre à l’homme. Il t’a mis sous les yeux ta propre image afin de te corriger. Reconnais-toi en moi-même, te dit-il ; tu peux, il est vrai, avoir ta volonté propre, autre que la volonté de Dieu, on le pardonne à ta fragilité, on le pardonne à l’infirmité humaine ; il est difficile pour toi de n’avoir aucune volonté propre : mais à l’instant souviens-toi qu’il est quelqu’un au-dessus de toi ; qu’il est supérieur, et toi inférieur, qu’il est créateur et toi créature, qu’il est maître et toi serviteur, qu’il est tout-puissant et toi bien faible ; et afin de te corriger, soumets ta volonté à sa volonté, en disant : « Toutefois, ô mon Père, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez ». Alors comment pourrais-tu être séparé de Dieu ; quand tu veux ce qu’il veut ? C’est alors que tu seras droit, et qu’il te siéra de bénir Dieu : « Car c’est aux cœurs droits de le loue ».
3. Mais si ton cœur est tortueux, tu béniras Dieu dans la prospérité, pour le blasphémer dans le malheur ; et toutefois le mal n’est plus un mal quand il est juste ; et il est juste quand il vient de la part d’un Dieu qui ne peut rien faire d’injuste. Tu seras donc dans la maison paternelle comme l’enfant ingrat, tu aimeras ton père quand tu en recevras des caresses, et tu le haïras s’il vient à te châtier : comme si ses châtiments aussi bien que ses caresses ne te préparaient pas à devenir son héritier. Vois maintenant comme la louange sied bien aux cœurs droits, écoute ce que chante un cœur droit dans un autre psaume : « Je bénirai en tout temps le Seigneur, sa louange sera toujours dans ma bouche »[3]. « En tout temps », a le même sens que « toujours » ; comme « je bénirai » et « sa louange sera dans ma bouche » sont identiques. Le louer donc en tout temps et toujours, c’est le louer dans le malheur, comme dans la prospérité. Car si tu ne bénis Dieu que dans la prospérité et non dans le malheur, comment sera-ce en tout temps, comment toujours ? Et toutefois chaque jour n’entendons-nous pas le grand nombre qui eut agit ainsi ? Leur arrive-t-il quelque bonheur, ils s’épanouissent, ils tressaillent de joie, ils bénissent Dieu, ils chantent ses louanges ; loin de les désapprouver, je les en félicite, car il y en a beaucoup qui ne le font pas même alors. Mais il faut apprendre à ceux qui déjà bénissent Dieu dans la prospérité, à reconnaître qu’il est père encore quand il châtie, à ne point murmurer contre sa main qui les afflige, de peur qu’ils ne demeurent dans la dépravation, qu’ils ne déméritent et ne soient justement privés de l’héritage éternel ; il le faut, afin qu’ils deviennent droits, et ils seront droits quand rien dans les actes de Dieu ne leur déplaira ; et qu’ils puissent bénir Dieu jusque dans le malheur, et dire : « Le Seigneur l’a dominé, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni »[4] : c’est à ces cœurs droits qu’appartient la louange, eux qui ne béniront pas d’abord, pour blâmer ensuite.
4. Donc, ô vous qui êtes justes, qui avez le cœur droit, tressaillez dans le Seigneur, car c’est à vous qu’il appartient de le bénir. Que nul ne dise : Qui suis-je pour être juste ? Ou : Quand pourrai-je être juste ? Ne vous méprisez point, ne désespérez point de vous-mêmes. Vous êtes hommes ; vous êtes créés à l’image de Dieu[5] : celui qui a fait de vous des hommes, s’est lui-même fait homme polar vous : et afin que vous fussiez adoptés en plus grand nombre pour l’éternel héritage, pour vous le sang de son Fils unique a été répandu. Si la faiblesse d’une chair terrestre vous rend méprisables à vos yeux, estimez-vous dû moins au prix que vous avez coûté. Pensez mûrement à votre nourriture, à votre breuvage, et à quoi vous souscrivez en disant : Amen. Toutefois est-ce l’orgueil que nous vous prêchons ici, et vous engageons-nous à vous attribuer quelque perfection ? Encore une fois, n’allez pas vous croire étrangers à toute justice. Je ne veux pas vous questionner au sujet de votre justice ; car nul d’entre vous sans doute n’oserait me répondre : Je suis juste : mais je vous interroge au sujet de votre foi ; et de même que nul n’oserait me répondre : Je suis juste ; nul aussi n’oserait me dire : Je n’ai pas la foi. Je ne cherche donc point quelle est ta vie,

  1. Mt. 25,35
  2. Act. 9,4
  3. Ps. 33,2
  4. Job. 1,21
  5. Gen. 1,27