Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/309

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peut devenir un bon fils. Jusque-là évite le mal par crainte, et tu apprendras à l’éviter par amour. Car la justice a ses charmes. Que le châtiment t’arrête. Là justice a sa beauté, elle cherche les regards, elle attise l’amour en ceux qui l’aiment. C’est pour elle que les martyrs ont foulé aux pieds le monde, et répandu leur sang. Qu’aimaient-ils en renonçant à tous ces biens ? Car n’aimaient-ils rien ? et vous parlons-nous ainsi pour éteindre l’amour en vos cœurs ? Il est froid, il est glacé le cœur qui n’aime point. Aimez donc ; seulement aimez cette beauté qui charme les yeux du cœur. Aimez, seulement aimez cette beauté qui enflamme les cœurs quand on chante la justice. Voilà des hommes qui parlent, qui se récrient, qui disent partout : C’est bien ; c’est très bien. Qu’ont-ils vu ? lis ont vu la justice qui donne la beauté au vieillard, fût-il courbé. Qu’on voie marcher ce vieillard doué de justice, il n’y a rien en lui de corporel que l’on puisse aimer, et néanmoins il est aimé de tous. On aime en lui ce qui est invisible, ou plutôt on aime en lui ce qu’il y a de visible pour le cœur. Que le vrai bien fasse donc vos délices, demandez à Dieu qu’il ait pour tous des attraits. « Car le Seigneur épanchera sur nous ses délices, et la terre produira son fruit[1] ». Afin que vous accomplissiez par la charité ce qu’il est difficile d’accomplir par la crainte. Que dis-je, difficile ? L’esprit ne le peut encore : il aimerait mieux qu’il n’y eût aucun précepte, quand c’est la sainte qui le fait obéir, et non l’amour qui l’y détermine. Retiens-toi de tout larcin et redoute l’enfer, lai est-il dit : il aimerait mieux qu’il n’y eût point d’enfer pour l’engloutir. Mais quand est-ce qu’il commence à aimer la justice, sinon quand il s’abstient de tout vol, dût-il n’y avoir point d’enfer pour engloutir les voleurs ? C’est là aimer la justice.
7. Mais cette justice, qu’est-elle donc ? qui pourra la peindre ? Quelle beauté reluit dans la sagesse de Dieu ? C’est elle qui donne le charme à tout ce qui a de l’attrait pour nos yeux : pour la voir, pour l’embrasser, il faut purifier nos cœurs. C’est elle que nous faisons profession d’aimer ; et c’est elle qui compose tout en nous, afin que rien ne lui déplaise. Et quand les hommes blâment en nous ce que nous faisons pour plaire à cette sagesse que nous aimons, combien peu nous estimons de tels censeurs, quel peu de souci, et même quel mépris ils nous inspirent ? Voilà des hommes qui ont pour des femmes un amour condamnable ; que ces amantes les ajustent selon leur goût, et ils s’inquiètent peu de déplaire aux autres quand ils plaisent à ces femmes, et il leur suffit d’être au goût de celles dont ils recherchent les faveurs : et souvent, ou plutôt toujours, ils déplaisent aux hommes plus mûrs, et trouvent leur condamnation chez les hommes judicieux. Votre chevelure est mal arrangée, dit un homme austère à un jeune impudique, ces frisures sont indécentes. Mais cet amant sait bien que ses cheveux ainsi bouclés plaisent à je ne sais quelle créature, et alors il te hait pour ta juste réprimande, et il conserve cet ajustement qui ne plaît qu’au goût dépravé, lite prend pour un ennemi, parce que tu le rappelles à la décence. Il se dérobe à tes regards, et s’inquiète peu si ta réprimande est juste. Si donc ils méprisent les blâmes de la vérité, pour affecter une beauté fictive ; pour nous, dans ce que nous faisons pour plaire à la divine sagesse, quel cas nous faudra-t-il faire de ces railleurs injustes, qui n’ont pas les yeux pour voir ce que nous aimons ? Pensez-y, ô vous qui avez le cœur droit, « et bénissez Dieu sur la harpe, et chantez-le sur le psaltérion à dix cordes ».
8. « Chantez-lui un cantique nouveau[2] ». Dépouillez-vous du vieil homme : vous connaissez le cantique nouveau. Le nouvel homme, la nouvelle alliance, voilà le cantique nouveau. Le cantique nouveau n’est point l’héritage du vieil homme : il n’y a pour l’apprendre que les hommes nouveaux, qui ont rajeuni le vieil homme dans la grâce, et qui appartiennent au Nouveau Testament, c’est-à-dire au royaume des cieux. C’est vers lui que notre amour exhale ses soupirs, à lui qu’il chante ses cantiques. Qu’il chante ce cantique, non de la voix, mais par les actions de la vie. « Chantez-lui un cantique nouveau, chantez-le sagement ». Chacun se demande : comment chanter à Dieu ? Oui, chantez, mais qu’il n’y ait aucun désaccord ; Dieu ne peut souffrir que l’on blesse ses oreilles. Chante sagement, ô mon frère. Devant un habile musicien qui doit t’écouter ; que l’on te dise Chante pour lui plaire, si tu crains de chanter parce que tut es dépourvu de science musicale, et qu’un

  1. Ps. 84,13
  2. Ps. 32,3