Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/354

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œuvres. Et, parce qu’il ne trouvait le mérite d’aucune bonne œuvre en ceux qui le persécutaient et le crucifiaient, il jeûnait ; ils jetaient dans son âme la disette. Quel jeûne, en effet, de trouver à peine un larron dont il pût se nourrir, étant sur la croix ! Les apôtres avaient pris la fuite et s’étaient cachés dans la foule ; Pierre lui-même, ce Pierre qui avait promis de persévérer jusqu’à la mort du Seigneur, l’avait déjà renié trois fois ; il pleurait déjà, mais il se cachait encore dans la multitude et craignait d’être reconnu. Tous, enfin, le voyant mort, désespérèrent de l’avenir aussi les trouva-t-il, après sa résurrection, plongés dans le découragement ; quand il leur parla, la tristesse, la désolation et le désespoir étaient dans leurs cœurs et se reflétaient dans les paroles de ceux qui s’entretenaient avec lui. Il leur dit : « De quoi vous entretenez-vous ensemble ? » Car ils parlaient de lui ; et ils lui répondirent : « Êtes-vous seul « si étranger dans Jérusalem, que vous ne sachiez pas ce qui s’y est passé ces jours-ci, touchant Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en œuvres et en paroles, devant Dieu, devant tout le peuple ; et de quelle manière les princes des prêtres et nos sénateurs l’ont livré pour être condamné à mort, et l’ont crucifié ? Or, nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël »[1]. Le Seigneur aurait persévéré datas ce grand jeûne, s’il n’avait pas ranimé ceux qui devaient apaiser sa faim. Il leur rendit le courage, les consola, les raffermit et en fit les membres de son corps. Tel fut donc le jeûne que s’imposa le Seigneur.
5. « Et je répandais », dit-il, « ma prière dans « mon sein ». Il y a certainement, dans ce verset, un sens profond ; daigne le Seigneur nous aider à le pénétrer ! Par sein, nous devons entendre une chose secrète. Mes frères, nous trouvons déjà, dans ces paroles, un avertissement pour nous, le bon conseil de prier dans le secret de notre cœur. Dieu nous y voit ; il nous y entend ; l’œil de l’homme est incapable d’y pénétrer ; celui-là, qui vient à notre aide, peut seul y porter ses regards. Ce fut là que pria Susanne et qu’elle fut entendue de Dieu, lorsque les hommes ne voulurent plus écouter sa voix[2]. En ce qui nous concerne, voilà le conseil que nous devons tirer de ces paroles ; mais nous devons les entendre plus particulièrement de Notre-Seigneur, parce que, lui aussi, il a prié. En examinant la lettre de l’Évangile, nous n’avons vu, nulle part, qu’il y fût question de son cilice ; il n’y est point davantage parlé, dans le sens littéral, du jeûne qu’il a observé pendant sa – passion ; c’est pourquoi nous avons, selon la mesure de nos forces, expliqué ces deux mots par similitude et dans le sens allégorique. Pour sa prière, nous l’avons entendue tomber du haut de la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »[3] Là aussi nous priions. En effet, quand son Père, dont il ne s’est jamais séparé, l’a-t-il abandonné ? Nous lisons encore qu’il a prié seul sur la montagne, qu’il a passé les nuits en prières, qu’il a prié dans le cours de sa passion. Je répandrai donc na prière dans mon sein. Je ne sais ce qu’on pourrait imaginer de mieux à l’égard du Seigneur. Quoi qu’il en soit, je vais dire ce qui me vient en ce moment à l’esprit ; une idée meilleure s’y présentera peut-être plus tard ; ou bien elle se présentera à une personne plus intelligente que moi. Je comprends donc ces paroles : « Je répandrai ma prière dans mon sein », dans ce sens que son Père habite en lui, car Dieu s’est réconcilié le monde dans le Christ[4]. Il possédait en lui-même celui qu’il voulait prier. Il n’en était pas éloigné, puisqu’il avait dit : « Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi[5]. Mais, en lui, la prière est plus particulièrement l’œuvre de l’homme ; car, en tant qu’il est le Verbe, le Christ ne prie pas, il exauce ; il ne demande pas qu’on lui vienne en aide ; mais, d’accord avec son Père, il secourt les autres. Quel est donc le sens de ces paroles : Je répandais ma prière dans mon sein ? Celui-ci, sans aucun doute : Mon humanité invoque en moi-mère la divinité.
6. « J’avais de la complaisance comme pour « un parent et un frère ; j’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir ». Il fait allusion à son corps : c’est nous qu’il faut voir ici désignés, quand nous trouvons notre bonheur dans la prière, et que notre âme se rassérène, non par l’influence des prospérités de ce monde, mais sous l’impression des rayons de la vérité. Il est facile de comprendre ce que je dis, et celui qu’éclaire cette lumière voit et reconnaît par

  1. Lc. 24,18-21
  2. Dan. 13,35-44
  3. Ps. 21,2 ; Mt. 27,46
  4. 2 Cor. 5,19
  5. Jn. 14,10