Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/403

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vient cette parole de l’Apôtre : « Nous aussi, par nature, nous fûmes enfants de colère comme le reste des hommes : Enfants de « colère, par nature », c’est-à-dire soumis à la vengeance du péché. Mais pourquoi dire : « Nous fûmes ? » c’est que par l’espérance nous ne le sommes plus, bien que nous le soyons en réalité. Pourtant il est mieux de dire ce que nous sommes en espérance, parce que notre espérance est certaine et qu’elle n’a rien d’incertain qui puisse nous inspirer le moindre doute. Écoutez encore la gloire en espérance : « Nous gémissons en nous-mêmes », dit l’Apôtre, « attendant l’effet de l’adoption divine, la délivrance de notre chair[1] ». Quoi donc, Paul, n’avez-vous pas été racheté ? Le prix de votre rançon n’est-il point payé ? Un sang divin n’a-t-il pas été répandu et n’est-il pas la rançon de tous les hommes ? Qui, sans doute, mais voyez ce qu’il ajoute : « Nous sommes sauvés par l’espérance ; or, l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance. Comment espérer ce que l’on voit ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par l’espérance[2] ». Qu’est-ce qu’il attend par la patience ? Le salut. Le salut de quoi ? De son corps ; car il a dit : « La délivrance de notre chair »[3]. S’il attendait la santé de son corps, ce n’était donc point cette santé qu’il avait déjà. La faim tue un homme ainsi que la soif, si l’on n’y apporte remède. Le remède à la faim, c’est la nourriture ; le remède contre la soif, c’est la boisson ; le remède à la fatigue, c’est le sommeil. Retranchez ces remèdes, et voyez si ces maladies ne vous tuent pas. S’il y a donc en vous de quoi vous tuer, si vous ne mangez, une vous glorifiez pas de votre santé ; mais plutôt attendez en gémissant la délivrance de votre corps. Réjouissez-vous de votre rédemption, bien que vous ne soyez pas encore dans une sûreté réelle, mais seulement en espérance. Car si l’espérance ne vous fait gémir, vous n’arriverez point à la réalité. Cela donc n’est point la santé parfaite, dit le Prophète : « En face de votre colère il n’y a rien de sain en ma chair ». D’où viennent ces flèches dont il est transpercé ? C’est une peine, un châtiment, et peut-être appelle-t-il des flèches ces douleurs de l’âme et de l’esprit qu’il nous faut là endurer. Le saint homme Job a fait mention de ces flèches, et dans l’abîme de ses malheurs il dit que les flèches du Seigneur l’ont traversé[4]. Il est cependant ordinaire d’entendre par flèches les paroles du Seigneur mais pourrait-il ainsi se plaindre d’en être percé ? Les paroles de Dieu sont comme des flèches qui portent l’amour et non la douleur. Ou bien, serait-ce peut-être que l’amour et la douleur sont inséparables ? Car il y a nécessairement douleur à aimer sans posséder. Il peut aimer sans souffrir, celui qui possède ce qu’il aime ; mais, disons-nous, quand on aime et qu’on n’a point encore ce que l’on aime, on doit nécessairement gémir dans sa douleur. De là cette parole de l’Épouse des cantiques qui figurait l’Église du Christ : « L’amour m’a blessée[5] ». Elle dit que l’amour l’a blessée, parce qu’elle aimait sans posséder l’objet de son amour ; elle souffrait de ne l’avoir point. Quiconque n’a point souffert de cette blessure ne saurait arriver à la véritable santé. Car celui qui en ressent la douleur doit-il donc y demeurer toujours ? Nous pouvons alors entendre ainsi ces flèches qui transpercent le Prophète : Vos paroles ont blessé mon cœur, et ces paroles m’ont fait souvenir du repos. Ce souvenir du sabbat, que je ne possède-point encore, m’empêche de me réjouir et me fait comprendre qu’il n’y a rien de sain dans ma chair, que la santé qu’elle possède n’en mérite pas le nom quand je la compare à celle dont je jouirai dans le repos éternel, quand cette chair corruptible sera revêtue d’incorruptibilité, que cette chair mortelle sera revêtue d’immortalité[6] ; en comparaison de cette santé, celle d’ici-bas, je le vois, n’est qu’une maladie.
6. « Il n’y a nulle paix dans mes ossements, à la vue de mes péchés[7] ». On se demande quel est celui qui parle ainsi ; plusieurs pensent que c’est Jésus-Christ, à cause de quelques allusions à la passion, allusions auxquelles nous arriverons bientôt, pour montrer qu’elles prédisent la passion de Jésus-Christ. Mais, comment celui qui n’avait pas de péché[8] a-t-il pu dire : « La vue de mes péchés ne laisse aucune paix dans mes os ? » Pour comprendre ceci, nous sommes dans la nécessité de connaître le Christ tout entier, ou le chef et les membres. Souvent, en effet, quand Jésus-Christ parle, il le fait seulement comme chef, et ce chef est le Sauveur, né de la Vierge Marie[9] ;

  1. Eph. 2,3
  2. Rom. 8,23
  3. Id. 24-25
  4. Job. 6,4
  5. Cant. 2,5 ; 5,8
  6. 1 Cor. 15,53
  7. Ps. 37,6
  8. 1 Pi. 2,22
  9. Lc. 2,7