Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/409

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notre chef dans sa passion. Mais encore une fois, quand c’est la tête qui parle, n’en séparez point les membrés. Si le chef n’a point voulu séparer sa voix de celle du corps, le corps oserait-il bien se séparer des douleurs du chef ? Souffrez donc dans le Christ, puisque le Christ a pour ainsi dire péché dans votre faiblesse. Il parlait naguère de vos péchés, et il en parlait comme s’ils eussent été les siens. Il disait en effet : « A la vue de mes péchés », comme s’ils eussent été les siens. De même donc qu’il a voulu que nos péchés fussent les siens, parce que nous sommes ses membres, faisons de ses souffrances les nôtres, parce qu’il est notre chef. Ce n’est point pour que nous soyons traités autrement que ses amis sont devenus ses ennemis. Préparons-nous, au contraire, à prendre le même breuvage ; ne rejetons point son calice, afin de mériter, par son humilité, de soupirer après sa grandeur. Telle fut, en effet, sa réponse à ceux qui voulaient partager sa grandeur, et qui n’envisageaient point son humilité quand il leur dit : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même[1] ? » Donc les douleurs de notre Maître sont aussi nos douleurs ; et quand chacun de nous aura servi Dieu fidèlement, gardé la bonne foi, payé ses dettes, accompli la justice envers les hommes, je voudrais bien voir s’il n’aura point à souffrir ce que Jésus-Christ nous dit de sa passion.
17. « Mes amis et mes proches se sont tenus tout près contre moi debout ; d’autres proches se sont éloignés[2] ». Quels sont ces proches, dont les uns se sont rapprochés, dont les autres se sont éloignés ? Les Juifs étaient proches pour le Sauveur, puisqu’ils lui étaient unis par le sang ; ils s’en approchèrent et le crucifièrent. Les Apôtres étaient des proies ; mais eux se tinrent dans l’éloignement, de peur de souffrir avec lui. On pourrait encore donner cette interprétation : « Mes amis », ou ceux qui ont feint de l’être. Car ils feignirent d’être ses amis, en disant : « Nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité[3] » ; alors qu’ils voulaient le nier au sujet du tribut à payer à César, et qu’il les confondit par leur propre langage, ils voulaient paraître ses amis. Mais il n’avait pas besoin alors qu’on rendît témoignage aucun homme[4], puisqu’il savait ce qui était dans l’homme ; aussi répondit-il, en entendant ces paroles : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous[5] ? » Donc, « mes amis et mes proches sont venus près de moi, en face et debout ; d’autres proches se sont éloignés ». Vous comprenez mon explication. J’ai appelé ses proches ceux qui s’approchèrent de lui et néanmoins s’en éloignèrent de cœur. Comment être plus près de corps que ceux qui élevèrent Jésus sur la croix ? Comment s’en éloigner de cœur plus que ceux qui le blasphémaient ? Isaïe a parlé de cet éloignement ; voyez en effet ce qu’il dit de ceux qui sont proches et de ceux qui sont éloignés : « Ce peuple m’honore des lèvres » ; voilà un rapprochement corporel : « mais leur cœur est loin de moi[6] ». Ceux qui sont proches sont en même temps éloignés, proches des lèvres, éloignés de cœur. Toutefois, comme la crainte retint les Apôtres dans l’éloignement, on peut d’une manière plus nette et plus claire entendre des uns, qu’ils s’approchèrent, des autres, qu’ils s’éloignèrent : surtout que saint Pierre, qui l’avait suivi plus hardiment, en était encore loin, et qu’interrogé il se troubla et renia ce Maître avec lequel il avait juré de mourir[7]. Mais afin que de son éloignement il vînt à se rapprocher, il entendit après la résurrection : « M’aimez-vous ? » et il répondit : « Je vous aime[8] ». Et cette affirmation rapprochait celui que son reniement avait éloigné ; ainsi une triple protestation d’amour effaça son triple renoncement. « Et mes proches se tenaient loin de moi ».
18. « Ils emploient la violence, ceux qui en veulent à mon âme[9] ». Il est facile de connaître ceux qui en veulent à son âme ; car ils n’avaient point cette âme ceux qui ne faisaient point partie de son corps. Ceux qui cherchaient cette âme en étaient éloignés ; et la cherchaient pour la tuer. Car on peut rechercher son âme pour un bon motif ; puisque, dans un autre endroit, il nous fait ce reproche : « Il n’y a personne pour rechercher mon âme[10] ». Il se plaint donc aux uns de ce qu’ils ne recherchent point son âme, et aux autres, de ce qu’ils la recherchent. Quel est celui qui recherché son âme dans une intention pure ? Celui qui l’imite dans ses souffrances. Quels sont ceux qui la recherchaient dans une intention perverse ? Ceux qui lui faisaient violence et qui le crucifiaient.

  1. Mt. 20,22
  2. Ps. 37,13
  3. Mt. 22,16
  4. Jn. 2,25
  5. Mt. 22,18
  6. Isa. 29,13
  7. Mt. 26,70
  8. Jn. 21,17
  9. Ps. 37,13
  10. Id. 141,5