Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/416

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il épie son langage, lui tend des pièges ; et il est bien difficile que dans ses paroles il n’en trouve quelques-unes qui manquent de convenance. Il est auditeur sans pardon, et jaloux jusqu’à la calomnie. C’est pourquoi Idithun, qui le devance, avait résolu de se taire et commençait ainsi son cantique : « J’ai dit : Je veillerai sur mes voies, afin de n’être point répréhensible dans mes paroles ». Tant que je serai surpris par les médisants, ou du moins tenté, sinon surpris, « je veillerai sur mes voies, pour ne point pécher en paroles ». Quoique bien au-dessus des terrestres plaisirs, quoique les frivoles affections des choses temporelles ne me touchent point ; quoique je dédaigne ces choses d’ici-bas pour m’élever à un amour meilleur, il me suffit néanmoins de goûter devant Dieu le plaisir de comprendre la supériorité de mon amour ; qu’est-il besoin de parler pour que l’on me censure, et d’ouvrir le champ aux médisances ? « J’ai donc dit : Je veillerai sur mes voies, afin de ne point pécher dans mes paroles. J’ai mis une garde à ma bouche ». Pourquoi ? Est-ce à cause des hommes pieux, des hommes qui aiment la parole de Dieu, des fidèles, des saints ? A Dieu ne plaise 1 Ces hommes écoutent avec l’intention de louer ce qu’ils approuvent ; et, quant à ce qu’ils désapprouvent, au milieu de bien des choses dont ils font l’éloge, ils aiment mieux le pardonner que l’envenimer par la calomnie. À l’égard desquels veux-tu donc veiller sur tes voies, afin de n’être pas répréhensible en paroles, et veux-tu mettre un frein à ta bouche ? Écoute la réponse : « Tandis que le pécheur se tient devant moi ». Il ne se tient pas près de moi ; mais : « Il se tient à l’encontre de moi ». Que puis-je dire enfin pour le satisfaire ? Je parle de choses spirituelles à un homme tout charnel, qui voit, qui entend au-dehors, mais qui à l’intérieur est sourd et aveugle. Car l’homme animal ne comprend point ce qui est de l’esprit de Dieu[1]. Et s’il n’était charnel, s’emporterait-il à ces calomnies ? « Bienheureux celui qui parle à une oreille qui écoute »[2], non à l’oreille du pécheur, qui se tient à l’encontre. Telle était cette multitude qui se dressait en frémissant devant celui « qui ressemblait à la brebis que l’on mène à la boucherie, et qui n’ouvrait point la bouche, non plus que l’agneau devant celui qui le tond »[3]. Que dire en effet à des hommes orgueilleux, brouillons, calomniateurs, querelleurs, verbeux ? Que leur dire de saint, de pieux, comment leur parler de religion, ô toi qui les devances ; quand le Sauveur dit à des hommes qui l’écoutaient volontiers, qui désiraient s’instruire, dont la bouche s’ouvrait à la vérité, qui la recevaient avidement : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent ? »[4] Et l’Apôtre : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels » : dont il ne faut point désespérer, mais qu’il faut nourrir. Car il ajoute : « Je vous ai donné du lait comme à de petits enfants en Jésus-Christ, et non de la nourriture dont vous n’étiez pas capables ». Parlez donc au moins maintenant. « Maintenant même, vous ne l’êtes pas encore »[5]. Ne t’empresse donc point d’écouter ce que tu ne comprends point, mais grandis afin de comprendre. C’est ce que nous disons aux petits enfants, qu’il nous faut nourrir du lait de la piété dam le giron de l’Église, et rendre capables de manger à la table du Seigneur. Que dire de semblable au pécheur qui se tient en face de moi, qui se croit ou feint d’être capable d’entendre ce qui est au-dessus de lui ? Si je lui parle et qu’il ne comprenne point, il croira que je suis en défaut, et non pas son intelligence. C’est donc en vue de ce pécheur qui se tient à l’encontre de moi, que « j’ai mis un frein à ma bouche ».
4. Et qu’en est-il advenu ? « Je suis resté muet, dans l’humiliation, et n’ai dit aucun bien »[6]. Celui qui s’est avancé souffre de nouvelles difficultés, dans le degré qu’il occupe ; il tâche de s’élever sur un autre, afin d’échapper à ces difficultés nouvelles. La crainte de pécher me fermait la bouche et m’imposait silence ; je m’étais dit en effet : « Je veillerai sur mes voies, afin de ne point pécher en paroles » ; et, quand la crainte du péché me ferme la bouche, voilà que « je demeure muet, dans l’humiliation, sans dire aucun bien ». D’où vient que je disais le bien, sinon parce que je l’entendais ? « Vous ferez résonner à mon oreille la joie et l’allégresse »[7], a dit David. Et l’ami de l’Époux se tient près de lui, l’écoute, et tressaille d’entendre, non sa propre voix, mais celle de l’Époux[8]. Afin de dire la vérité, il écoute le

  1. 1 Cor. 2,14
  2. Sir. 25,12
  3. Isa. 53,7
  4. Jn. 16,1-2
  5. 1 Cor. 3,1-2
  6. Ps. 38,3
  7. Id. 1,10
  8. Jn. 3,29