Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/460

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Dieu. C’est de ce palais que le Psalmiste parlait ailleurs, quand, s’étant posé cette question difficile et épineuse : Pourquoi les méchants sont presque toujours heureux sur la terre, et les bons malheureux, il s’écriait : « J’ai médité pour savoir, et mes yeux n’ont vu qu’un grand travail, jusqu’à ce que j’entre dans la maison de Dieu, et que j’aie vu à la fin des pervers »[1]. Telle est donc la source de l’intelligence, le sanctuaire de Dieu, la maison de Dieu. C’est là que le Prophète a compris la fin dernière, et qu’il a pu résoudre la question du bonheur des méchants et des souffrances des justes. Quelle solution y a-t-il donnée ? C’est que les méchants épargnés ici-bas, sont réservés à des châtiments sans fin ; et que les bons qui souffrent, sont éprouvés pour être mis ensuite en possession de l’héritage éternel. Voilà ce que le Prophète a connu dans le sanctuaire de Dieu ; telle est la fin des choses qu’il a comprises. Il s’est donc élevé jusqu’au sanctuaire pour arriver à la maison de Dieu ; toutefois, en admirant les merveilles du tabernacle, il est arrivé à la maison de Dieu, en suivant je ne sais quelle douceur, quel charme intérieur et caché, comme si une suave harmonie s’exhalait de la maison de Dieu. Or, comme il marchait dans le tabernacle, dominé par cette harmonie de l’intérieur, cédant à l’enchantement, suivant cette harmonie de l’oreille et s’élevant au-dessus de tout bruit de la chair et du sang, il est arrivé jusqu’à la maison de Dieu. Car il nous raconte ainsi sa marche et la voie qu’il a tenue, comme si nous lui disions : Tu admirais le tabernacle de Dieu sur la terre ; comment es-tu arrivé au secret de la maison de Dieu ? « C’est », dit-il, « au son de l’allégresse et de la louange, au son des cantiques des fêtes ». Quand les hommes célèbrent ici-bas les fêtes de la débauche, ils ont la coutume d’établir devant leur demeure des orchestres, des joueurs de harpe, ou toute symphonie quia des attraits, des stimulants pour la débauche. Or, quand nous passons par là, que disons-nous de ces bruits ? Que fait-on là ? Et on nous répond qu’il y a quelque fête. On y célèbre, dit-on, quelque naissance, quelque mariage ; on tâche de donner un prétexte à ces chants ridicules, de couvrir d’une excuse une telle débauche. Dans la maison de Dieu, c’est une fête continuelle. Or, on n’y célèbre rien de ce qui passe. Cette fête éternelle, c’est le chœur des anges : voir Dieu à découvert, c’est une joie sans défaut. Tel est ce jour de fête que n’ouvre aucune entrée, que ne vient clore aucune fin. Cette fête éternelle et sans fin a, pour les oreilles du cœur, je ne sais quoi de sonore et de ravissant, si toutefois cela n’est couvert par le bruit du monde. Pour celui qui marche dans ce tabernacle, et qui médite sur les merveilles de Dieu pour la rédemption des fidèles, il y a dans le concert de cette fête, un charme d’oreille qui l’entraîne comme le cerf aux sources d’eau vive.
10. Cependant, mes frères, tant que nous sommes en ce corps mortel, nous sommes éloignés du Seigneur[2], et le corps qui se corrompt aggrave l’âme, et cette demeure terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées[3] et bien que sur la route nous dissipions des nuages par la vivacité de nos désirs, que nous parvenions parfois à cette harmonie et à concevoir par nos efforts quelque chose de ce qui est dans la maison de Dieu, néanmoins le poids de nos faiblesses nous fait retomber dans notre torpeur ordinaire, et nous rentrons dans nos habitudes. Et, de même que nous avions trouvé de quoi nous réjouir, nous retrouvons ici-bas de quoi gémir. Ce cerf, en effet, qui a jour et nuit ses larmes pour nourriture, poussé par son désir vers les sources d’eau vive ou vers les délices intérieures de Dieu, et qui répand son âme dans les régions supérieures, pour atteindre plus haut que son âme, qui marche dans le lieu d’un tabernacle merveilleux, et qui se laisse aller aux ravissements d’une harmonie spirituelle et intelligible qui lui fait mépriser tout ce qui est extérieur pour les charmes intérieurs, ce cerf est encore un homme, il gémit encore ici-bas, il porte encore une chair fragile, il est encore exposé aux scandales du monde. Il se regarde alors comme venant des régions supérieures, et se voyant dans ce lieu de douleur, comparant à cet état présent les choses qu’il est allé voir, qu’il a vues avant de revenir, il s’écrie : « Pourquoi tant de tristesse, ô mon âme, et d’où te vient ce trouble ? »[4] Déjà noue avons goûté les charmes d’une joie intérieure, voilà que la perspicacité de l’esprit a pu pénétrer jusqu’à l’immuable, quoique en passant et seulement comme l’éclair ; pourquoi me troubler encore,

  1. Ps. 72,16-17
  2. 2 Cor. 5,6
  3. Sag. 9,15
  4. Ps. 33,1-6