Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/463

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justice, quelques progrès qu’il ait faits dans la vertu, et il appelle un autre abîme, quand il instruit un autre homme de quelque article de foi, ou de quelque vérité qui concerne la vie éternelle. Mais l’abîme n’est utile à l’abîme qu’il appelle, que quand cela se fait au bruit de vos cataractes, ô Dieu. L’abîme appelle un abîme, un homme gagne un autre homme : non par sa propre voix, mais « par la voix de vos cataractes ».
14. Écoutez un autre sens : « L’abîme appelle un autre abîme, au bruit de vos cataractes ». Pour moi qui tremble quand mon âme est troublée en moi, je suis saisi d’effroi à cause de vos jugements. « Car vos jugements sont des abîmes profonds »[1] ; or, l’abîme appelle un autre abîme. Car cette chair mortelle, calamiteuse, pécheresse, pleine d’afflictions et de scandales, assujettie aux convoitises, est déjà un effet de votre jugement, puisque vous avez dit au pécheur : « Tu mourras de mort » ; et encore : « A la sueur de ton front tu mangeras ton pain »[2]. Tel est le premier abîme les jugements de Dieu. Mais si les hommes viennent à vivre dans le désordre, « l’abîme alors appelle un autre abîme » ; parce qu’ils passent de châtiments en châtiments, de ténèbres en ténèbres, de profondeur en profondeur, de supplice en supplice, et des brasiers de la convoitise aux brasiers de l’enfer. C’est là peut-être ce que craignait celui qui dit ici : « Mon âme est troublée en moi ; aussi me suis-je souvenu de vous, ô mon Dieu, dans les terres du Jourdain et d’Hermon ». Je dois être humble ; car je crains vos jugements : ces jugements me glacent d’effroi, aussi « mon âme en est-elle troublée en moi-même ». Et quels sont vos jugements que je redoute ? Faut-il donc peu craindre d’être jugé par vous ? Ils sont terribles vos jugements, ils sont sévères, insupportables, et plût à Dieu qu’il n’y eût rien que cela : « Un abîme appelle un autre abîme dans le bruit de vos cataractes » ; vous nous menacez, sous nous dites qu’après les eaux de cette vie il nous reste à craindre une autre damnation : « Au bruit de vos cataractes l’abîme appelle un autre abîme. Où irai-je pour échapper à vos regards, où fuirai-je devant votre esprit »[3], si l’abîme appelle un autre abîme, si, après ces peines, j’en dois craindre de plus douloureuses ?
15. « Toutes vos eaux soulevées, tous vos « flots ont passé sur moi »[4]. Vos flots dans les maux que j’endure ; vos eaux soulevées, dans les menaces que vous me faites. Tout ce que je souffre est un de vos flots ; toute menace de votre part est un soulèvement des eaux. Dans vos flots, c’est l’abîme, qui appelle dans ces eaux suspendues un autre abîme. Ainsi mes douleurs actuelles, voilà tous vos flots : les châtiments dont je suis menacé, ce sont là vos eaux suspendues qui ont passé sur moi. Une menace qui ne sévit pas encore, c’est un bras suspendu. Mais comme vous devez nous délivrer, j’ai dit à mon âme : « Espère en Dieu, car je confesserai de nouveau qu’il est un Sauveur à mes yeux, qu’il est mon Dieu »[5]. Plus nos maux sont fréquents, plus sera douce votre miséricorde.
16. C’est pourquoi le Prophète ajoute : « Pendant le jour le Seigneur annonce sa miséricorde, et il la fait sentir pendant la nuit »[6]. Nul ne peut écouter, s’il est dans la douleur. Veillez donc sur vous dans la prospérité ; écoutez dans le bonheur ; lorsque tout est calme, instruisez-vous des règles de la sagesse et recueillez la parole de Dieu comme une nourriture. Lorsqu’un homme est dans l’affliction, il doit se nourrir de ce qu’il a entendu dans le calme. Car c’est dans les jours de paix que le Seigneur promet sa miséricorde à celui qui le sert fidèlement ; il te promet alors de te délivrer, mais ce n’est que pendant la nuit qu’il te donne cette miséricorde promise pendant le jour. Quand viendra la tribulation, son secours ne te fera point défaut. Car il est dit en certain endroit : « La divine miséricorde, au jour de la tribulation, est comme la nuée de la pluie au temps de la sécheresse[7]. Pendant le jour le Seigneur promet cette miséricorde, qu’il fait « sentir pendant la nuit e. Il ne te fait sentir son secours, que s’il t’arrive quelque affliction, d’où te puisse tirer celui qui te l’a promis pendant le jour. De là vient qu’il nous avertit d’imiter la fourmi[8]. De même, en effet, que le jour marque la prospérité de cette vie, et que la nuit marque l’adversité ; de même, en d’autres endroits, c’est l’été qui désigne la vie heureuse, comme l’hiver désigne le malheur. Or, que fait la fourmi ? Pendant l’été, elle fuit des provisions qui doivent lui servir

  1. Ps. 24,7
  2. Gen. 2,17 ; 2,19
  3. Ps. 138,7
  4. Ps. 41,8
  5. Id. 6
  6. Id. 9
  7. Sir. 35,26
  8. Prov. 6,6