Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/474

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12. « Vous nous avez livrés comme des brebis que l’on dévore, et dispersés parmi les nations ». Les nations nous dévorent ; on désigne ici ceux que la persécution a incorporés aux Gentils. L’Église les pleure comme des membres qui sont dévorés.
13. « Vous avez vendu votre peuple pour rien ». Nous avons vu ceux que vous avez livrés, sans voir ce que vous avez reçu. « Et la foule ne se pressait point dans leurs fêtes »[1]. Quand les chrétiens fuyaient les persécutions des idolâtres leurs ennemis, pouvaient-ils s’assembler pour chanter les louanges de Dieu ? Pouvaient-ils chanter ces hymnes dans les églises de Dieu, comme on les chante pendant la paix, quand les frères élèvent jusqu’aux oreilles de Dieu leurs mélodieux concerts ? « Et la foule ne se pressait point à leurs fêtes »[2].
14. « Vous avez fait de nous un sujet d’opprobre pour nos voisins, la fable et la dérision de tous ceux qui nous environnent. « Vous avez fait de nous un exemple pour les nations »[3]. Que signifie « un exemple ? » L’homme qui fait des imprécations apporte quelquefois un type des maux qu’il adjure. Puisses-tu mourir comme un tel, subir de pareils châtiments ! Combien n’a-t-on pas dit : Puisses-tu être ainsi crucifié ! Il ne manque pas aujourd’hui d’ennemis du Christ, comme les Juifs, pour nous dire, quand nous défendons contre eux le Christ : Puisses-tu mourir comme il est mort ! Car ils ne lui auraient point infligé ce genre de mort, s’ils ne l’avaient eu en horreur, ou s’ils en avaient pu comprendre le mystère. L’aveugle à qui l’on met un collyre, ne voit point ce collyre dans la main du médecin. Or, la croix elle-même dut profiter à ceux qui l’y clouaient. Ce remède les guérit ensuite, et ils crurent à celui qu’ils avaient crucifié. « Vous avez fait de nous un exemple pour les nations ; les peuples en nous voyant ont branlé la tête » ; ils branlaient la tête par mépris. « Leurs lèvres parlaient et ils branlaient la tête »[4]. Voilà ce qu’ils ont fait au Seigneur, ce qu’ils ont fait à tous les saints qu’ils ont pu persécuter, enchaîner, tourner en dérision, livrer aux magistrats, flageller et faire mourir.
15. « Tout le jour ma honte est présente à mes yeux, la confusion a couvert mon visage, à la voix de celui qui m’insulte et m’accable d’outrages »[5] ; c’est-à-dire, à la voix de ceux qui m’accablent d’outrages, me faisant un crime du culte que je vous rends, de l’honneur que je témoigne à votre nom ; ils me reprochent comme un crime ce nom qui doit effacer tous mes crimes. « A la voix de celui qui insulte, et qui outrage », c’est-à-dire, qui parle contre moi. « A la face de l’ennemi, du persécuteur ». Que devons-nous comprendre ici ? Ce qui a été dit du passé n’aura plus lieu dans nos temps ; ce que nous espérons pour l’avenir, n’apparaît point encore. Dans le passé : le peuple sortit de l’Égypte avec tout l’éclat des prodiges, il fut délivré de ceux qui le poursuivaient, il fut conduit à travers les peuples que Dieu chassa, et enfin établi en royaume. Quel est l’avenir ? C’est que le peuple sera tiré de l’Égypte de ce bas monde, sous la conduite du Christ et à la splendeur de sa gloire ; que les saints seront placés à sa droite, et ses ennemis à sa gauche, que les méchants subiront, avec le diable, un châtiment éternel, que le Christ avec ses saints régnera éternellement. Voilà l’avenir, le reste est du passé. Qu’y a-t-il entre les deux ? Les peines. Pourquoi ? Pour montrer l’âme qui honore Dieu, et comment elle l’honore ; si elle sert gratuitement celui qui l’a sauvée gratuitement. Que Dieu vous dise en effet : Que m’avez-vous donné pour vous créer ? si vous avez pu bien mériter de moi depuis votre création, assurément vous n’aviez rien mérité avant d’être créé ; que pouvons-nous répondre à celui qui tout d’abord nous a créés gratuitement, parce qu’il est bon, et non parce que nous avions des mérites ? Que dirons-nous aussi de notre réparation, qui est une seconde naissance ? Que nos mérites nous ont valu de la part du Seigneur ce salut éternel qu’il nous envoie ? Point du tout. Si Dieu avait pris en considération nos mérites, il nous aurait condamnés. Il n’est donc point venu pour examiner nos mérites, mais pour nous remettre nos péchés. Tu n’étais pas, et tu es aujourd’hui ; qu’as-tu donné à Dieu ? Tu étais dans le mal, Dieu t’en a délivré ; qu’as-tu donné à Dieu ? Que n’as-tu pas reçu de lui gratuitement ? C’est justement que l’on appele grâce ce qui est donné pour rien. Dieu donc te demande de le servir gratuitement, toi aussi, non parce qu’il te donne les biens temporels, mais parce qu’il t’en promet d’éternels.[6]

  1. Ps. 43,12
  2. Id. 13
  3. Id. 14,15
  4. Id. 21,8
  5. Ps. 43,16-17
  6. Mt. 25,33