Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/526

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vous en avertis. Et si nous devons encore entendre ce langage, que du moins nous l’entendions plus rarement que si nous n’avions point été avertis. Nous n’avons pas en nous-mêmes cette confiance, que cet avertissement fasse disparaître totalement ce langage ; mais que du moins il devienne plus rare, car on le tiendra jusqu’à la fin des siècles. C’est peu qu’on dise d’un riche qu’il vit, on ajoute qu’il parle, qu’il tonne. Tu crois qu’il est seul pour vivre ; eh bien ! qu’il vive, mais sa vie finira, car il ne donne rien pour la rançon de son âme ; sa vie finira, son labeur ne finira point. « Il travaillera éternellement, et sa vie finira ». Comment sa vie finira-t-elle ? Comme la vie de celui qui était vêtu de pourpre et de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère, qui n’avait que la hauteur et l’orgueilleux mépris pour ce malheureux couvert d’ulcères, couché à sa porte, dont les chiens léchaient les plaies, tandis qu’il désirait les miettes qui tombaient de la table du riche. De quoi servirent à cet homme ses grands biens ? l’un et l’autre changèrent d’état : de la porte du riche l’un fut porté au sein d’Abraham, et de sa table splendide l’autre fut précipité dans le feu : le premier se reposait, le second brûlait ; l’un était rassasié, l’autre avait soif ; chez l’un, au labeur temporel succédait une vie sans fin ; chez l’autre, à une vie passagère succédait une douleur éternelle. De quoi servaient les richesses à cet homme qui, dans les flammes de l’enfer, demandait qu’une goutte d’eau tombât du doigt de Lazare pour rafraîchir sa langue ; « car », disait-il, « je brûle de cette flamme », et cela ne lui fut point accordé[1]. Il désirait une goutte d’eau tombant du doigt de Lazare, comme celui-ci avait désiré les miettes tombant de sa table ; mais la douleur avait fini pour l’un, comme la vie avait fini pour l’autre : la douleur de ce dernier devait être éternelle, la vie de celui-là également éternelle. Notre vie d’ici-bas n’est proprement pas une vie pour nous qui souffrons ; mais il n’en sera pas ainsi dans la suite, notre vie sera éternellement dans le Christ : quant à ceux qui veulent vivre ici-bas, ils souffriront à jamais et ne vivront qu’un temps.
11. « Car celui-là ne verra point la mort après avoir vu mourir les sages »[2]. Celui dont le travail sera éternel, et dont la vie doit finir, « ne verra point la mort après avoir vu mourir les sages ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire que, après avoir vu mourir les sages, il ne saura point ce qu’est la mort. Car il se dit : Cet homme n’est-il pas mort en dépit de sa sagesse, de sa vie si régulière et de sa piété envers Dieu ? Je n’ai donc plus qu’à me livrer aux plaisirs pendant cette vie, car la sagesse ne peut nous donner de ne point mourir. Il voit ainsi un sage mourir, sans comprendre ce qu’est la mort. « Il ne connaîtra point la mort après avoir vu mourir les sages ». Il ressemble aux Juifs qui ont vu le Christ cloué à la croix, et qui l’ont méprisé en disant : « S’il était Fils de Dieu, il descendrait de la croix[3] » : ils n’ont point vu ce que c’est que mourir. Ah ! si du moins ils eussent vu ce que c’est que mourir, s’ils l’eussent compris ! Le Christ mourait selon le temps, pour vivre selon l’éternité, et eux vivent selon le temps pour subir une mort éternelle. Mais parce qu’ils le voyaient mourir, ils ne voyaient point la mort, c’est-à-dire qu’ils ne comprenaient pas ce que c’est que la véritable mort. Que disent-ils en effet, même dans leur sagesse ? « Condamnons-le à une mort honteuse, et l’on verra ce que valent ses paroles ; s’il est vraiment le Fils de Dieu, Dieu le délivrera des mains de ses ennemis[4] », et ne permettra pas qu’il meure, s’il est vraiment son Fils. Mais en le voyant sur la croix, exposé à leurs insultants défis, sans en descendre, ils se dirent : C’est vraiment un homme. On leur répond : Il pouvait bien descendre de la croix, celui qui a pu ressusciter du sépulcre ; mais il nous apprenait à supporter les insultes, à n’opposer que la patience aux langues des méchants, à boire le calice de l’amertume, et à recevoir ainsi le salut éternel. Bois donc, ô malade, bois ce calice amer, afin d’obtenir la guérison, toi dont les entrailles ne sont point guéries : ne crains point, c’est pour t’empêcher de craindre que le médecin a bu le premier ce breuvage, ou que le Seigneur a épuisé le premier le calice amer de la passion. Il l’a bu, celui qui n’avait en lui aucun péché, qui n’avait rien à guérir. Bois à ton tour, jusqu’à ce que l’amertume de cette vie soit passée, jusqu’à ce que vienne cette vie, qui n’aura ni scandales, ni colère, ni envie, ni amertume, ni fièvre, ni tromperie, ni dissensions, ni

  1. Lc. 16,19-26
  2. Ps. 48,11
  3. Mt. 27,12
  4. Sag. 2,20